Poèmes

Nous Autres

par Henri Michaux

Henri Michaux

Dans notre vie, rien n'a jamais été droit.

Droit comme pour nous.

Dans notre vie, rien ne s'est consommé à fond.

A fond comme pour nous.

Le triomphe, le parachèvement,

Non, non, ça n'est pas pour nous.

Mais prendre le vide dans ses mains,

Chasser le fièvre, rencontrer l'ours.

Courageusement frapper l'ours, toucher le rhinocéros.

Être dépouillé de tout, mis à suer son propre cœur.

Rejeté au désert, obligé d'y refaire son cheptel,

Un os par-ci, une dent par-là, plus loin une corne.

Ça, c'est pour nous.

Dire que les sept vaches grasses naissent en ce

moment.
Elles naissent, mais ce n'est pas nous qui les

trairons.
Les quatre chevaux ailés viennent de naître.

Ils sont nés.
Ils ne rêvent que de voler.

On a peine aies retenir. Ça ira presque aux astres,

ces bêtes-là.
Mais ce n'est pas nous qui y serons portés.
Pour nous les chemins de taupe, de courtilière.
De plus, nous sommes arrivés aux portes de la

Ville.
De la
Ville-qui-compte.
Nous y sommes, il n'y a pas de doute.
C'est elle.

C'est bien elle.
Ce que nous avons souffert pour arriver... et pour

partir.
Se désenlacer lentement, en fraude, des bras de

l'arrière...

Mais ce n'est pas nous qui entrerons.

Ce sont de jeunes m'as-tu-vu, tout verts, tout

fiers qui entreront.
Mais nous, nous n'entrerons pas.
Nous n'irons pas plus loin.
Stop!
Pas plus loin.
Entrer, chanter, triompher, non, non, ça n'est

pas pour nous.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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