Poèmes

Notes de Botanique

par Henri Michaux

Henri Michaux

Dans ce pays, il n'y a pas de feuilles.
J'ai parcouru plusieurs forêts.
Les arbres paraissent morts.
Erreur.
Us vivent.
Mais ils n'ont pas de feuilles.

La plupart, avec un tronc très dur, vous ont partout des appendices minces comme des peaux.
Les
Barimes semblables à des spectres, tout entiers couverts de ces voiles végétaux; on les soulève, on veut voir la personne cachée.
Non, dessous ce n'est qu'un tronc.

Il y a aussi, dans la forêt de
Ravgor, de tout petits arbres trapus et creux et sans branches qui ressemblent à des paniers.

Les
Karrets droits jusqu'à la hauteur de cinq ou six mètres, là tout à coup obliquent, pointent et vous partent en espadon contre les voisins.

D'autres avec de grandes branches dansantes, souples comme tout, serpentines.

D'autres avec de courts rameaux fermes et tout en fourchettes.

D'autres, chaque année, forment un dôme ligneux.
On en rencontre d'énormes, des vieux, carapace sur carapace, et s'il vient un incendie de forêt (on ne sait ce qu'ils ont), ils cuisent là à petit feu, tout seuls, pendant
des six, sept semaines, alors que tout autour d'eux, sur des lieues de parcours, ce n'est que cendre grise et froid de la nature minérale.

D'autres qui se tendent sous la pluie comme des courroies et grincent; on se croirait dans une forêt en cuir.

Les arbres à chapelets, et les arbres à relais.

Les arbres à boules terminales creuses, munies de deux rubans.
Par grand vent étaient emportées ces boules, et volaient, ou plutôt flottaient lentement, semblables à des poissons, des poissons qui vont enfin regagner la rivière
après un voyage pénible, mais le vent les chassait et elles allaient s'empaler sur les arbres à fourchettes, ou roulaient à terre par centaines, formant un immense plancher
de billes, se bousculant et comme rieuses.

Les
Badèges ont des racines grimpantes.
Une racine sort tout à coup, vient s'appuyer contre une branche d'un air décidé, l'air d'une monstrueuse carotte.

Il y en a d'autres, l'écorce de leur tronc s'ouvre le jour, comme des capots d'automobiles avec leurs fentes d'aération, puis la nuit se ferme strictement, et jamais on ne croirait
qu'ils se sont jamais ouverts.
Les indigènes se nourrissent d'une amande dont l'enveloppe est extrêmement dure.
Ils la mettent l'après-midi dans les fentes de l'arbre, et la retirent le matin, broyée, prête à être mangée.

L'arbre le plus agréable c'est le
Vibon.
L'arbre à laine.
On voudrait vivre dans sa couronne.
Quantité innombrable de rameaux ont ses branches, et chacun sécrète une antenne de laine, si bien qu'il y a là une grosse tête laineuse.
C'est le
Bouddha de la forêt.
Mais il arrive que les
Balicolica (ce sont des oiseaux) y viennent habiter.
Ils crottent partout.
Alors c'est une odeur infecte qui se forme là, et il faut brûler l'arbre.

L'arbre à baleines de parapluie; d'autres tout en lamelles, si vous y donnez un coup fort, tombent en s'ouvrant comme un paquet de cartes.

D'autres à tête spongieuse, et si on y enfonce la main par mégarde, un liquide brun gicle partout.

Le
Kobo qui produit trois pans de bois chaque année, qui pourrissent en novembre, se détachent alors pour un rien, et vous tombent dessus comme des paravents.

Les
Romans, sans aucune hauteur, à peine la couronne sort de terre, ça leur suffit, mais larges... larges.

Parfois, vous ne voyez que plaines et c'est une forêt, une forêt de
Romans.
Les branches reposent sur le sol, allongées comme des serpents, les plus jeunes on peut les voir avancer, et on les entend si le sol est sablonneux et sec.

Dans les branches en cerceaux des
Ricoites, les singes passent et sautent continuellement.

Le tronc des
Comaraves n'est pas cylindrique.
Leur forme est celle des pianos à queue, vus d'en haut.
Mais ils sont aussi élevés que des tours et sans branches.
Ils ont une telle masse de bois, franche, qui ne se dissimule pas comme font les arbres des régions tempérées, toujours prêts à devenir feuillus; assemblés par
quinze ou vingt, ils forment comme des menhirs de bois.
C'est curieux ces rassemblements (presque des alignements), c'est peut-être parce qu'ils tuent autour d'eux tout ce qui vit.
Mais pourquoi ne sont-ils jamais plus de quinze ou vingt?

Et entre eux, même pas de l'herbe, ou de la mousse ne pourrait croître, tant ils sont affamés malgré leur air de pierre.
Le sol est lisse et sec et les insectes n'y passeraient pas — clairières, temples.

Il y a aussi des petits buissons.
Ces plantes sortent de terre comme des mains.
Elles constituent la brousse.
Elles ont l'air de vouloir vous fouiller.

Il faut les couper pour passer, et elles saignent abondamment, un liquide bleu violet qui tache fort et la tache ne part pas.

La marche la plus pénible, c'est dans les
Comvodges.
Sortent de terre des milliers de fils.
Ils s'amassent sur le sol jusqu'à hauteur d'un yard.
On marche là-dedans comme sur des matelas crevés, on perd l'équilibre à chaque instant.

Les graminées atteignent ici jusqu'à sept mètres de haut.
Rien n'y peut passer.
Même les serpents font un détour.
C'est la végétation la plus serrée qui soit.
Le centre d'un champ ne vaut rien, végète.
Les côtés seuls vivent. absorbent tout.
Il fait noir au centre, comme à l'intérieur d'un corps.

Il y vient souvent des parasites.
Ils entrent dans le creux du chaume.
Le chaume est vert tendre.
Le parasite est brun, on le voit monter et descendre par transparence, comme une sève noire, comme du café.

Une fois qu'ils ont quitté le champ, on peut être sûr qu'il ne reste plus aucune vie.
Alors le premier vent qui vient abat les tiges, en les croquant.

Tout le champ, haut comme une maison, s'effondre; l'horizon est rafraîchi, mais le cultivateur se lamente.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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