Poèmes

Meije et lune

par Boiteau René

Meije et lune

C’était la journée unique d’un papillon gracile attardé dans la saison.

D’abord l’élégante lune lointaine et belle, laiteuse, échevelée, mélangea de sombres cratères aux bords troublés de la montagne herbeuse coiffée des squelettes d’arbustes.

Elle s’extirpait tranquillement des branches terrestres comme une araignée quitte sa toile.

Elle imitait piteusement les instants solennels d’un envol nocturne de condor qui traînerait ses ailes sous un ventre arrondi, peinant à décoller du sol qui l’a vu naître.

Ce fut un long silence attendu, préparé par toute la nature.

Puis la Meije altière et fière sortit son dard à l’horizon au détour du sentier.

Elle aussi voulait narguer l’astre levé trop tôt en pleine lumière bien avant l’étoile qui décide le berger à rentrer ses derniers moutons.

Sur le replat d’herbe sèche, la neige avait tagué ses folles escapades passées.

Mais le soleil dominait tout.

Il laissait souvenir des senteurs de champignons, des rousseurs de chansons, des langueurs de Verlaine, des flocons oubliés de la laine des brebis parties dans leur Midi.

Alors j’étais conscient de mon bonheur, je voyais l’indicible. J’emplissais mes poumons de cet air vivifiant que m’ont laissé les paysans d’ici.

Et le vent m’apportait, tout en musique fluette, le souffle filé expiré par une humanité si dense et turbulente que je n’aurai jamais le temps de l’aimer assez.

Je devine à peine dans ce murmure les premiers cris successifs de trois ou quatre ancêtres naissant à chaque siècle quand se déchiraient les parois de leur thorax avide. Je soupçonne tout juste vingt mille ans d’histoire humaine.

Le ciel serein de l’Eden enveloppait d’un pudique drapeau d’azur ma nudité de créature éphémère et fragile, j’étais heureux.

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