Poèmes

Les Souhaits

par Jean de la Fontaine

Jean de La Fontaine

Il est au
Mogol des follets

Qui font office de valets,
Tiennent la maison propre, ont soin de l'équipage,

Et quelquefois du jardinage.

Si vous touchez à leur ouvrage,
Vous gâtez tout.
Un d'eux, près du
Gange, autrefois,
Cultivait le jardin d'un assez bon bourgeois.
Il travaillait sans bruit, avait beaucoup d'adresse,

Aimait le maître et la maîtresse,
Et le jardin surtout.
Dieu sait si les zéphyrs,
Peuple ami du démon, l'assistaient dans sa tâche.
Le follet, de sa part, travaillant sans relâche,

Comblait ses hôtes de plaisirs.

Pour plus de marques de son zèle
Chez ces gens pour toujours, il se fût arrêté,

Nonobstant la légèreté

A ses pareils si naturelle ;

Mais ses confrères les esprits
Firent tant que le chef de cette république,

Par caprice ou par politique,

Le changea bientôt de logis.
Ordre lui vient d'aller au fond de la
Norvège

Prendre le soin d'une maison

En tout temps couverte de neige ;
Et, d'Indou qu'il était, on vous le fait
Lapon.
Avant que de partir, l'esprit dit à ses hôtes :

«
On m'oblige de vous quitter :

Je ne sais pas pour quelles fautes ;
Mais enfin il le faut, je ne puis arrêter
Qu'un temps fort court, un mois, peut-être une

semaine.
Employez-la ; formez trois souhaits, car je puis

Rendre trois souhaits accomplis :
Trois sans plus. »
Souhaiter, ce n'est pas une peine

Étrange et nouvelle aux humains.
Ceux-ci pour premier vœu demandent l'abondance,

Et l'abondance à pleines mains

Verse en leurs coffres la finance,
En leurs greniers le blé, dans leurs caves les vins ;
Tout en crève.
Comment ranger cette chevance ?
Quels registres, quels soins, quel temps il leur fallut !
Tous deux sont empêchés si jamais on le fut.

Les voleurs contre eux complotèrent,

Les grands seigneurs leur empruntèrent,
Le prince les taxa.
Voilà les pauvres gens

Malheureux par trop de fortune. «
Otez-nous de ces biens l'aiïïuence importune,
Dirent-ils l'un et l'autre ; heureux les indigents !
La pauvreté vaut mieux qu'une telle richesse.
Retirez-vous, trésors, fuyez ; et toi, déesse,
Mère du bon esprit, compagne du repos, Ô médiocrité, reviens vite. »
A ces mots,
La médiocrité revient ; on lui fait place ;

Avec elle ils rentrent en grâce,
Au bout de deux souhaits étant aussi chanceux

Qu'ils étaient, et que sont tous ceux
Qui souhaitent toujours et perdent en chimères

Le temps qu'ils feraient mieux de mettre à leurs affaires.
Le follet en rit avec eux.
Pour profiter de sa largesse,
Quand il voulut partir et qu'il fut sur le point,
Ils demandèrent la sagesse :
C'est un trésor qui n'embarrasse point.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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