Il n'étoit point d'étang dans tout le voisinage
Qu'un
Cormoran n'eût mis à contribution :
Viviers et réservoirs lui payoient pension.
Sa cuisine alloit bien : mais, lorsque le long âge
Eut glacé le pauvre animal,
La même cuisine alla mal.
Tout
Cormoran se sert de pourvoyeur lui-même.
Le nôtre, un peu trop vieux pour voir au fond des eaux.
N'ayant ni filets ni réseaux,
Souffroit une disette extrême.
Que fit-il?
Le besoin, docteur en stratagème.
Lui fournit celui-ci.
Sur le bord d'un étang
Cormoran vit une Écrevisse. «
Ma commère, dit-il, allez tout à l'instant
Porter un avis important
A ce peuple : il faut qu'il périsse;
Le maître de ce lieu dans huit jours péchera. »
L'Écrevisse en hâte s'en va
Conter le cas.
Grande est l'émeute;
On court, on s'assemble, on députe
A l'Oiseau :•«
Seigneur
Cormoran,
D'où vous vient cet avis?
Quel est votre garant?
Êtes-vous sûr de cette affaire?
N'y savez-vous remède?
Et qu'est-il bon de faire?
—
Changer de lieu, dit-il. —
Comment le ferons-nous?
—
N'en soyez point en soin : je vous porterai tous.
L'un après l'autre, en ma retraite.
Nul que
Dieu seul et moi n'en connoît les chemins :
Il n'est demeure plus secrète.
Un vivier que
Nature y creusa de ses mains,
Inconnu des traîtres humains,
Sauvera votre république. »
On le crut.
Le peuple aquatique
L'un après l'autre fut porté
Sous ce rocher peu fréquenté.
Là,
Cormoran, le bon apôtre,
Les ayant mis en un endroit
Transparent, peu creux, fort étroit.
Vous les prenoit sans peine, un jour l'un, un jour l'au-
(tre;
Il leur apprit à leurs dépens
Que l'on ne doit jamais avoir de confiance
En ceux qui sont mangeurs de gens.
Ils y perdirent peu, puisque l'humaine engeance
En auroit aussi bien croqué sa bonne part.
Qu'importe qui vous mange?
Homme ou loup, toute
Me paroît une à cet égard; [panse
Un jour plus tôt, un jour plus tard.
Ce n'est pas grande différence.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012