Poèmes

Les Pâques Folles D'edouard Maunick

par Rene Depestre

René Depestre

1

L'enfant vint tout armé de son île
Maurice au petit matin du 23 septembre 1931 : un pied-goyave comme lui né coiffé était à son berceau l'émissaire des autres arbres fruitiers de l'ile.
L'équinoxe ce soir-là écoutait aux portes.

Ainsi commence en fable un garçon fou de l'oxygène qui prit en main son enfance dans l'odeur d'herbe brûlée des bancs

de l'école : indien aux deux tiers noir aux deux tiers les autres tiers sont des bras de mer que ses poèmes auront à traverser jusqu'aux
Evangiles des
Blancs !

2

Des années plus tard à l'Unesco

à midi, on a fait cuire ensemble

du riz et du manioc

et du poisson salé

à la sauce de rougail

sur un grand feu de mémos et de dossiers.

Dans la même foi des poètes

on a fait pousser des arbres

à une réunion du conseil exécutif :

"La parole est à monsieur
Kaïlcédrat,

allez-y mon cher collègue faites librement

l'inventaire des choses

belles et principales de la planète !"

"à votre tour madame
Rosa
Maria
Filao déléguée du mapou et du banian de l'Inde, avec rage soufflez vos charmes épiques sur la braise des jours gris de ce monde !"

je me souviens encore :

en plein
Paris des années quatre-vingt,

on fit passer un jeune goyavier des îles

avant le délégué d'un vieil empire du
Nord,

on planta un flamboyant royal

en lieu et place des directeurs

d'une conférence générale.

On confia des missions de rêve

aux arbres-frères de notre enfance

si fiers et si libres dans leur allure

d'éternels étudiants : ces essences amies

firent fête aux acacias

et aux platanes de la place de
Fontenoy.

3

L'an suivant, à
Port-Louis

je suivis le grand poète
Edouard
Maunick

au large de la nostalgie,

histoire d'aller dire bonjour

à l'ange du jardin créole : voici

la vierge-étoile de
Solange

et de
Jean-Claude de l'Estrac.

Louée soit
Valérie : on peut vivre au ciel

un temps cosmique en un seul jour de sa beauté !

4

Il y a aussi nous deux mon frère
Edouard s'il faut parler de nos poèmes ce sera sans trop de tristesse au
Sinaï où nos saisons se croisent,

(et surtout sans haine aucune de personne) il faut frapper juste et fort : on n'aime pas qu'on vende partout du sang d'homme à la criée on préfère respirer à pleins
poumons l'air des petits riens qui font les éclats de rire et les épices de toute une vie émerveillée.

Chacun doit trouver sa
Carmen en poésie

pour chanter le quotidien et danser

le séga et le reggae il n'y a plus

ni
Nord ni
Sud, ni
Est ni
Ouest ;

seul se réveille à la vie chaude

de la chair et de l'esprit

le cordon ombilical

qui initie le monde

à la fête des couleurs et des formes !

c'est clair : nos poèmes ont mal aux yeux

quand ils voient le white man only

imposer le temps du deux poids deux mesures

(au ciné, en politique, en arts et lettres

et en droit international)

la règle de l'ôte-toi-que-je-mette-

sa-Majesté-White-man-only.

Expulsé des rues de
Soweto l'apartheid

revient en long feuilleton blanc à la télé

son dur white man only rapplique en virus dans les médias de onze heures du soir quand la tendresse descend doucement

dans nos mains blessées ; notre rêve bien à nous reste encor sur pied : cet arbre à mains qui mûrit tout son âge d'homme au soleil dans la vie ensoleillée
d'autrui.

Tu cherches pour la vie une
Terre-patrie

capable de mieux tourner autour de ses étoiles

pour cela tu nous préviens après
Césaire :

qu 'ily a encore une mer à traverser

pour que tu nous inventes

le nouvel immigré tout en haut de sa foi

capable d'apprendre à l'homme

et à la femme à compter sur leur boulier

les années qui nous séparent encore de la fête sans
Nord ni
Sud sans
Ouest ni
Est, étant la fête d'un temps enfin rédempteur à l'horizon mondial.

Invente les
Pâques de ton côté de la mer le
Jésus-Fleuve en qui on voudra bien croire de ton côté de la tendresse où les prières sont des racines d'arbres à mains entre le sel et le pain de ta jeune parole
avec un peu de chance invente les noces d'une percée sans précédent des songes et des droits de l'homme !

telle est ta poésie : un pote

inventeur de l'outil à scier

dans le sens du fil

le bois précieux qui dilate dans l'homme

la magie des contes pour enfants de la marée.

Poète ni plus ni moins
Edouard
Maunick

septembre scieur de long

et buveur d'eau de pluie

donne-toi sans compter

à ce
Vendredi saint au destin solaire

qui apprend de toi à rire et à danser

d'est en ouest du nord au sud, donne-toi

en esprit et en corps éblouis

de pouvoir dompter le temps du vivre sur la croix !



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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