Poèmes

Le Statuaire et la Statue de Jupiter

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

Un bloc de marbre étoit si beau
Qu'un
Statuaire en fit l'emplette. «
Qu'en fera, dit-il, mon ciseau?
Sera-t-il dieu, table ou cuvette?

Il sera dieu : même je veux
Qu'il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains! faites des vœux :
Voilà le maître de la terre. »

L'artisan exprima si bien

Le caractère de l'idole,

Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien

A
Jupiter que la parole.

Même l'on dit que l'ouvrier
Eut à peine achevé l'image,
Qu'on le vit frémir le premier.
Et redouter son propre ouvrage.

A la foiblesse du sculpteur
Le poëte autrefois n'en dut guère,
Des dieux dont il fut l'inventeur
Craignant la haine et la colère.

Il étoit enfant en ceci;

Les enfants n'ont l'âme occupée

Que du continuel souci

Qu'on ne fâche point leur poupée.

Le cœur suit aisément l'esprit :
De cette source est descendue
L'erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répandue.

Ils embrassoient violemment
Les intérêts de leur chimère :
Pygmalion devint amant
De la
Vénus dont il fut père.

Chacun tourne en réalités,
Autant qu'il peut, ses propres songes :
L'homme est de glace aux vérités;
Il est de feu pour les mensonges.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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