Une radio propose dix jours pour découvrir
la diversité ethnique du
Brésil et son
Histoire.
Je m'aperçois qu'il me reste dix minutes
pour assister avant la nuit complète à la
quotidienne dissolution du paysage.
J'annonce maintenant dix minutes de lecture
pour ce poème écrit dans un temps bien plus long.
Travailler à regarder dehors le travail de l'ombre
qui grandit et défait les rails de la neige là
en face sur les pentes de la montagne
à l'instant de l'œil de chèvre c'est l'instant
où le soleil à son coucher est coupé
en oblique par des bandes de nuages.
J'emporte une provision incertaine et ancienne qui sursaute dans un courant aussi lent que rapide un courant où sursautent aussi d'autres souvenirs que je ne connais pas ai-je donc
été un autre.
Regarder ces bandes claires rescapées du blanc
travées brillant encore sur leur fond opaque un fond presque noir une terre mêlée d'écorces des traînées pâles qui vont pâlir encore quand la
lumière partira en laissant la terre prendre le dessus des valeurs principales.
Regarder ce blanc qui tient encore à la terre où s'étendent des silences apparents et épais comme des couvre-lits de flanelle superposés cette image du noir sur blanc
c'est la métaphore d'un deuil précoce.
La couleur ne modèle pas elle s'installe.
Est-ce qu'on modifie une bande de neige en la déclarant blanche puis terne parce qu'on l'a regardée longtemps une ligne de terre en la disant noire parce que chargée d'arbres
sombres ?
Je ne suis pas encore dans la nuit complète
pas non plus dans l'énigme de l'entre chien-et-loup
mais plutôt le moment d'un piano sans cordes
la sourdine de la musique solitude de la neige
de combien de plumes plumées de neige sur la nuit
la nuit nappe nappe de nuit qui approche
l'instant où la récitante qui en fait beaucoup
se penche sur les eaux comme indiqué sur le livret
l'esprit rêveur rêvant que s'y dessinent
des initiales des aveux des messages entre
les petites bulles et les petits insectes
du petit théâtre de la rivière où en été
une autre récitante vient prendre sa place
et se rêve dormant aux portes du crépuscule.
Je suis bien loin de la poche brésilienne
d'où surgiraient
Haroldo et
Augusto de
Campos
Drummond ou
Oswald de
Andrade ou la magnifique
Pagù
ou le petit garcazer dents acérées et doigts griffus
que les premiers
Japonais qui débarquèrent du «
Nadejda »
prirent naturellement pour un dragon et tuèrent.
Ils conservèrent sa forme dans du saké.
Où est la flèche qui tua le souvenir ?
Je l'ai vue entrer en scène par la droite
furtive et sèche d'un seul coup sans écho
tandis que du côté jardin-jésus apparaissait
le boxeur grimaçant au visage tuméfié
avec ses cocardes bleues virant au jaune
les veines de son coup beaucoup trop gonflées
l'obligeant à marcher tête basse en vaincu
ce qui donnait aux épaules toute leur pente
on se demandait où était passée sa serviette
un boxeur a toujours autour du cou sa serviette.
Maintenant l'ombre aborde les terres hachées de rayures encore claires comme des couvertures de trappeurs.
La dernière fois que je suis allé sur le port un haut tas de pavés encombrait l'esplanade sur laquelle tournoyaient des mouettes énormes alors l'Anglais s'est exclamé
très fort sea-gull la récitante a compris tout bas cigale et pour cacher sa honte s'est tournée du côté
des poissonnières qui sur leurs planches grises arrosaient quelques loups suffoquant au soleil d'une eau il faut le dire plutôt sale.
En cinq minutes de lecture j'ai retrouvé un parc
traversé autrefois à quinze heures très souvent.
J'avançais sur une allée en contrebas
d'une terrasse publique où se reposait
le gardien dans un fauteuil en toile.
Je me rappelle sa corpulence ses aller retour
sur le gravier blanc qui filait en bandes.
Il parlait de loin à une femme désemparée.
Je retrouve aussi une clairière.
L'allée
y conduisait.
Et une pièce d'eau dont
la bordure en ruine faisait frontière
avec une décharge de pneus hérissée de roseaux.
Je regardais aussi des épaves au soleil.
Un hippodrome avec une entrée en verrière
un large escalier qui jaillissait des ronces
survolées par des mouettes la mer n'était pas loin.
Quelqu'un que je ne vois pas me dit : tu m'as regardé par-dessus la mémoire les sentiments qui t'agitent ne transpercent pas.
Je me demande ce qui transperce.
Une flèche un coup de poing la pluie une douleur une chose abstraite concrète ou les deux une absence une phrase un cri dans la nuit le geste d'une femme qui dérobe ses
lèvres.
Transpercer veut dire aussi apparaître
comme cette nuit arrivée enfin et qui m'entoure
Oui c'est la nuit.
Nuit qui recouvre tout.
En elle tout s'effondre sur place.
Je laisse le courant m'entraîner encore.
Je pratique une contrebande de souvenirs mélangeant les repères les abréviations qui étoilent les pages des vieux carnets les feuilles arrachées aux calendriers comme
ces autres feuilles recouvertes par les sédiments le désordre les mémoires en lambeaux sous la pourriture la plus forte lorsqu'on tente des retouches elles deviennent des
repeints de pudeur et nous savons bien qu'il y a cœur et petit cœur.
Je vois le ciel couleur de chien qui court de chien courant je nous vois courant perdus dans le courant nous aussi nous deux dans le courant comme si nous étions trois qu'aucune nuit
n'arrête.
Lorsqu'on découpe une volaille on termine en détachant les ailes.
avec ça débrouille-toi avec ça ça ça ça ça.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012