Poèmes

La Machine Singer

par Rene Depestre

René Depestre

Une machine
Singer dans un foyer nègre,

arabe, indien, malais, chinois, annamite,

ou dans n'importe quelle maison

sans boussole du tiers monde

c'était le dieu lare qui raccommodait

les mauvais jours de notre enfance.

Sous nos toits son aiguille tendait

des pièges fantastiques à la faim,

son aiguille défiait la soif.

La machine
Singer domptait des tigres

la machine
Singer charmait des serpents

elle bravait paludismes et cyclones

et cousait des feuilles à notre nudité.

La machine
Singer n'était pas tombée

des dernières pluies du ciel :

elle avait quelque part un père,

une mère, des tantes, des oncles,

et avant même d'avoir des dents pour mordre

elle savait se frayer un chemin de lionne.

La machine
Singer n'était pas toujours

une machine à coudre attelée jour et nuit

à la tendresse d'une fée sous-développée.

Parfois c'était une bête féroce

qui se cabrait avec des griffes

et qui écumait de rage

et inondait la maison de fumée

et la maison restait sans rythme ni mesure

la maison cessait de tourner autour du
Soleil

et les meubles prenaient la fuite

et les tables surtout les tables

qui se sentaient très seules

au milieu du désert de notre faim

retournaient à leur enfance de la forêt



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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