Poèmes

La Discorde

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

La déesse
Discorde ayant brouillé les
Dieux,

Et fait un grand procès là-haut pour une pomme,

On la fit déloger des
Cieux.

Chez l'animal qu'on appelle homme

On la reçut à bras ouverts.

Elle et
Que-si-Que-non, son frère,

Avecque
Tien-et-Mien, son père.
Elle nous fit l'honneur en ce bas univers

De préférer notre hémisphère
A celui .des mortels qui nous sont opposés,

Gens grossiers, peu civilisés,
Et qui, se mariant sans prêtre et sans notaire.

De la
Discorde n'ont que faire.

Pour la faire trouver aux lieux où le besoin

Demandoit qu'elle fût présente,

La
Renommée avoit le soin
De l'avenir; et l'autre, diligente,
Couroit vite aux débats et prévenoit la
Paix,
Faisoit d'une étincelle un feu long à s'éteindre.
La
Renommée enfin commença de se plaindre

Que l'on ne lui trouvoit jamais

De demeure fixe et certaine;
Bien souvent l'on perdoit, à la chercher, sa peine
Il falloit donc qu'elle eût un séjour affecté,
Un séjour d'où l'on pût en toutes les familles

L'envoyer à jour arrêté.
Comme il n'étoit alors aucun couvent de filles,

On y trouva difficulté.

L'auberge enfin de l'Hyménée

Lui fut pour maison assinée.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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