Ami
Marot, l'honneur de mon pupitre.
Mon premier maître, acceptez cette épître
Que vous écrit un humble nourrisson
Qui sur
Parnasse a pris votre écusson.
Et qui jadis, en maint genre d'escrime,
Vinc chez vous seul étudier la rime.
Par vous, en
France, épîtres, triolets,
Rondeaux, chansons, ballades, virelais,
Gente épigramme et plaisante satire,
Ont pris naissance ; en sorte qu'on peut dire :
De
Prométhée hommes sont émanés,
Et de
Marot joyeux contes sont nés.
Par quoi, sitôt qu'en mon adolescence
J'eus avec vous commencé connaissance.
Mon odorat, par vos vers éveillé,
Des autres vers plus ne fut chatouillé ;
Et n'eus repos (jeunesse est téméraire)
Que ne m'eussiez adopté pour confrère.
Bien est-il vrai que, par le temps mûri,
D'autres leçons mon esprit s'est nourri ; Écrits divers ont exercé ma plume.
Mais c'est tout un.
Soit raison, soit coutume,
Mon nom par vous est encore connu,
Dont bien et mal m'est ensemble advenu :
Bien, par trouver l'an de m'être fait lire ;
Mal, par avoir des sots excité l'ire.
L'ire des sots et des esprits malins;
Car qui dit sots, dit à malice enclins.
Et cherchez bien de
Paris jusqu'à
Rome,
One ne verrez sot qui soit honnête homme.
Je le soutiens : justice et vérité
N'habitent point en cerveau mal monté.
Du vieux
Zenon l'antique confrérie
Disait tout vice être issu d'ânerie :
Non que toujours sottise de son chef
Forme dessein de vous porter mécheP ;
Mais folle erreur, d'ignorance complice,
Fait même effet, et supplée à malice.
Bien le savez,
Clément, mon ami cher :
Sotte ignorance et jugement léger
Vous ont jadis, on le voit par vos œuvres,
Fait avaler anguilles et couleuvres,
Des novateurs complice vous nommant,
Ou votre honneur en public diffamant.
Soit par blasons plus mordants que vipère,
Soit par mensonge, en vous faisant le pète
De tous ces vers bâtards et supposés
Dont les parents sont toujours déguisés.
Et moi, chétif, de vos suivants le moindre,
Combien de fois, las ! me suis-je vu poindre
De traits pareils!
Non qu'on m'ait imputé
D'avoir jamais nouveautés adopté.
Des gens dévots que j'estime et respecte,
Ainsi que vous je n'ai honni la secte
Qu'en général, sans aucun désigner ;
Et fîtes mal de les égratigner.
Vous qui craigniez, disiez-vous, la bourrée ;
Car ces menins de la cour éthérée
Sont tous doués d'un appétit strident
De se venger quand ils sentent la dent;
Et fussiez-vous un saint plus angélique,
Plus éminent et plus apostolique
Que saint
Thomas; s'ils en trouvent moyen,
Ils vous feront, le tout pour votre bien,
Comme autrefois au bon
Savonarole,
Que pour le ciel la séraphique école
Fit griller vif au feu clair et vermeil,
Dont il mourut, par faute d'appareil.
Eux exceptés, des bons esprits l'estime
M'a, comme vous, des sots rendu victime ;
Car de quels noms plus doux et plus musqués
Puis-je appeler tant d'esprits disloqués ?
Comment nommer la rampante vermine
Des chiffonniers de la double colline,
Qui tous les jours, en dépit d'Apollon,
Dans les bourbiers de son sacré vallon
Vont ramassant l'ordure la plus sale,
Pour en lever boutiques de scandale
Contre tous ceux qui sont assez sensés
Pour mépriser leurs vers rapetassés ?
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012