Poèmes

Élégie de Pasolini - Élégie

par Jacques Chessex

Jacques Chessex

Pasolini, je n'aurai connu

ni les pauvres chats du
Colisée
Ni les cendres de
Gramsci près de la tombe de

Shelley

au cimetière des
Anglais
Ni l'herbe des déserts d'Ostie où de louches

ombres jouissent et tuent

Pasolini je n'ai pas été avec des garçons

Ni fait aucun film

Je ne suis pas mort assassiné

(on ne sait jamais)
Mais j'ai tenu tant d'autres jeunes corps

sous mon souffle
Que je suis devenu ton frère
J'ai tellement regardé tes films et ceux des
Italiens

aimés et détestés de toi
Que je suis devenu ton chef opérateur idéal

et ton critique vindicatif
J'ai imaginé pour ma seule personne tant de morts

lentes et violentes
Que je suis mort avec toi dans l'herbe rare

et les déserts fuligineux du
Tibre
La tête écrasée à coups de pierres
Sur ta tête et ton torse en bouillie ensanglantée

Pier
Paolo lève les yeux sur moi

par-dessus la mort
Et regarde-moi comme ton frère
Toi le
Romain mort dans le delta sale

de
Rome
Toi venu de
Rome dont j'étudiais la langue

aimée et ancienne au collège
Et sache aussi par-dessus le rivage de la mort
Que j'ai appris à lire ta poésie en italien
Pour être plus près de toi dans ta vie et dans la mort

ces dernières années sous le fouet de tes mots
Comme avec les miens si souvent autodestructeurs

et fertiles en dur amour

Pier
Paolo j'ai aimé ton saint
Matthieu

Parmi tous les films que j'ai vus avec
Mort à
Venise

et
Le
Vent de la
Plaine de
Huston
Mais peut-être n'aimes-tu ni
Visconti ni

l'Américain
Peut-être n'aimes-tu que ton tourment
Dans ton église irrespirable si loin de
Saint-Pierre
Avec les talus l'herbe creuse les coups de l'Envers

Et peut-être aussi le
Christ,
Pier
Paolo
Si tu te retrouves seul et enragé

à la venue du soir
Dans
Rome encore rougie de solitude et de dérives
Et toi l'absent plus fort au monde

qu'un prophète

Toi
Pier
Paolo tu réclames à chacun de tes pas

le martyre À chaque respiration la sainteté

Et tu es entendu
Pier
Paolo

Tu vois,
Christ t'aime tu es exaucé

L'envoyé t'écrase la tête au moment venu

J uste au moment voulu
Pier
Paolo

Pour que tu puisses apercevoir le sourire de l'ange

sur la bouche de ta mère
Au dernier instant la dernière goutte de salive
Sur sa bouche qui luit comme le reflet du monde

désert
Que tu quittes maintenant
Pier
Paolo
Loin des poèmes de toi que je lis

des haïs des pardonnes des lambeaux de vie
Enfin pour l'autre côté du terrain vague



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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