—
Qu'est-ce que vous racontez là?
—
Un conte.
—
Ce n'est donc pas une histoire vraie.
—
Pourquoi?
—
Ce n'est pas vraiment arrivé.
—
Mais si.
—
Alors,
Le
Petit
Chaperon
Rouge?
—
C'est une histoire vraie.
—
Comment le saviez-vous?
—
C'était moi.
J'ai eu très peur.
J'ai un petit vase de grès,
Disait-il.
C'est contre l'orage.
Quand arrive le tonnerre,
Je regarde au fond du vase,
Tellement fort que m'y voilà
L'orage
N'aime pas ça, du tout.
Alors il s'en va —
Ou bien c'est moi,
Au fond du vase,
Moi qui l'oublie,
A rêver le grès.
Moi, ça m'est bien égal,
Ce qu'ils font.
J'ai un cheval dans ma poche
Et d'ailleurs c'est une girafe.
Alors, quand c'est à moi
Qu'on veut s'en prendre, hop là !
On est loin,
Ma girafe et moi.
Et eux
N'y comprennent rien.
Alors, je suis arrivé
A une fontaine.
C'était le soir,
Mais on y voyait encore un peu
Dans cette forêt :
Quelque chose
N'était pas le fût d'un arbre.
D'ailleurs,
La forme chantait.
J'ai su
Que c'était pour moi.
Je lui ai caressé
Ses longs cheveux blonds.
Et de nous la fontaine
A parlé,
Toute la nuit.
La maison
N'était pas si grande.
Enfin, ça dépend
De ce qu'on appelle grand.
On pouvait aller
D'une pièce à l'autre
Et ne pas s'y retrouver.
C'est ainsi qu'un jour
Où je m'étais égaré
Derrière la salle du conseil
Elle était là, près de la fenêtre,
Dans une pièce vide
Où il y avait eu du soleil.
Souvent,
Je me demandais
Ce qu'on peut bien faire
En haut d'une tour
Quand on est tout seul.
Depuis,
J'y ai été enfermé
Pendant des années.
Maintenant je sais
Comme on y rêve d'effondrement.
J'aurais pu
Marcher encore,
Longtemps, longtemps,
Mais j'avais soif et besoin
Qu'on s'occupe de moi.
Et voilà des semaines
Que je me suis arrêté ici,
Où il n'y a que moi,
Jusqu'à présent.
On peut crier, marmonnait-il,
On peut toujours crier,
Ce n'est pas le plus difficile.
Le plus difficile,
C'est de trouver le bon moment.
Ainsi moi,
Voici des années
Que j'attends le moment
Où la peur
Me fera crier.
Comme l'autre fois,
Quand ça n'a pas servi.
Chacun son tour,
Disait-il.
Maintenant, c'est eux
Qui me punissent.
Mais dans l'éternité
C'est moi
Qui leur tiendrai
La dragée haute.
Je les priverai
De leur souffre-douleur.
Je n'y comprenais rien.
S'ils voulaient me faire souffrir,
Il y avait tellement de moyens.
Mais pourquoi
Devant son image, à elle,
M'obliger à lire les contes
Que pendant des années
J'avais rêvé de lui montrer,
Où elle était toujours,
En filigrane?
Il devait y avoir longtemps
Qu'il était là,
Qu'il attendait.
Il en était devenu tout vieux,
Mais quand on le questionnait,
Il disait toujours :
Je viens à peine d'arriver.
Je ne suis pas venu pour rien.
J'attends encore un peu.
Elle est en retard. »
Il ne se privait de rien,
Ne programmait pas ses rêves.
Même les jours ordinaires, dans l'année,
Il s'offrait ce qu'il y a de mieux :
Sardanapale ou
Jésus
Ou
Pierre le
Grand
Sur la
Neva.
Ou
Satan.
C'est plutôt les jours de fête officielle
Qu'il se vouait aux rêves de pauvreté.
A
Pâques,
Il aimait les oubliettes.
Il partageait tout
Et avec tous.
Quand il avait une pomme
Il voulait en donner.
Quand il avait un journal,
Il proposait de le répartir.
Quand il faisait beau,
Il distribuait le soleil.
Il partageait tout,
Sauf ce qu'il n'aimait pas,
Les billets de banque,
Par exemple.
Il était parti à la recherche
Du serpent qui parle.
Un jour,
Il avait cru le voir :
C'était bien la tête, allongée,
La couleur, l'allure, la taille.
Mais le serpent
L'a calmement regardé
Comme pour lui dire :
Ce n'est pas toi
Qui trouveras.
Vous verrez,
Disait le vieux marin,
On n'y arrivera pas.
Regardez le goéland :
Lui non plus
Il n'en peut plus.
Il y a des jours
Comme ça.
Ce n'est pas la première fois
Que je sais
Que c'est comme ça,
Qu'on n'y arrivera pas.
A force d'errer
Dans la profonde forêt,
Il ne savait plus
Ce que c'e.st que le grand jour.
Et quand il arriva, un midi,
A l'orée ensoleillée,
Il crut que c'était
Le royaume des morts.
Il se coucha sur le sol
Comme font les morts.
Mais quand il vit
Qu'il y en avait qui marchait,
Il dit :
C'est bien.
Et se releva.
Ce n'est pas vrai
Qu'il avait cassé
La poupée de la petite fille.
Il n'avait pas
Joué avec elle.
Il ne l'avait
Même pas touchée.
Un simple regard,
Ça ne casse pas les choses,
Quand même.
Je reviendrai sûrement un jour,
Lui avait-il dit,
Mais n'y pensez pas,
Oubliez-moi,
Faites comme si rien
Ne s'était passé.
De façon
Que lorsque je reviendrai,
Ce soit tout à fait
Comme cette fois-ci,
Que ce soit une première rencontre,
Un premier sourire,
Que nous ne sachions pas
Ce qu'ensuite il y aura.
—
Et lui-même ne savait pas alors
S'il disait cela pour de vrai.
Ce n'était pas la peine,
Lui dit-elle,
De me sourire
Quand vous êtes arrivé,
De me prendre par la main,
De me parler.
Vous auriez pu
Commencer par me dire
Que nous serions toujours
Des étrangers.
Alors, au moins, j'aurais eu
De la peine à vous croire.
Et vous aussi.
Elle ne voulait peut-être
Que lui porter de l'eau
A travers les ombres de la forêt
Et les appels des bêtes.
Elle devait avoir compris
Où il était
Et qu'il avait le plus grand besoin
Que cette eau lui fût donnée.
Elle courait
Comme si sa vie à elle en dépendait.
Et personne ne sait
Pourquoi c'était elle.
Elle avait toujours su
Que ce serait ainsi, pour elle :
Il y aurait une fontaine
Et un palais.
Cela commencerait à la fontaine
Et trouverait dans le palais
Son apothéose.
Ce serait près de la fontaine
Qu'il viendrait.
Ce serait dans le palais
Que tout resterait toujours à dire.
Elle va,
D'une fontaine à l'autre,
De préférence dans les forêts.
Pourquoi
Aurait-il cédé?
Quand il l'avait rencontrée
Près de la fontaine
Dans la forêt,
Et dans les heures
Qui avaient suivi,
Est-ce qu'il avait Été question
De quelque chose
Qui ressemble à ça?
A cet espace
Où maintenant voilà
Qu'elle pouvait le jeter?
Il ne l'avait plus dans la poche,
Ce cheval qui était une girafe.
Il ne pouvait plus
Avec elle s'enfuir sous les quolibets.
Mais, après tout,
Est-ce que ça comptait à ce point?
Il l'avait eue, cette girafe
Qui l'emportait loin du malheur.
C'était bien là le signe.
Et c'était ce qui lui permettait
De ne pas baisser pavillon,
Qui lui donnait la force,
Maintenant,
De se défendre
Et d'attaquer.
Elle pouvait bien
Lui faire l'aumône
A la sortie de la messe.
C'était sans doute en plus
De ce que son regard
Lui avait donné déjà,
Quand elle l'avait vu
En entrant dans l'église,
Près du porche.
Ou bien c'était,
Maintenant,
Pour nier ce que ce regard
Avait pu donner.
Il y avait une lumière très belle
Sur les coteaux,
A la fin de l'après-midi.
Ils ont bien vu,
Elle et lui,
Que c'était pour eux.
Ils ont compris
Que cette lumière,
C'était leur lot
D'avoir sans répit
A la dorloter,
Plus peut-être
Qu'ils ne pourraient.
Il n'était jamais venu jusque là.
Il ne connaissait pas
Ces arbres géants.
Il n'avait jamais vu
Cette fontaine de granit,
Jamais pris ce chemin creux
Aux larges ornières.
Jamais respiré
Cet air gluant.
Jamais vu cet homme
Qui gisait près du banc de pierre,
La tête éclatée.
Il n'allait jamais bien loin.
Il avait découvert à l'orée de la forêt
Cette cabane abandonnée
Et il y revenait très vite,
Quand il avait de quoi
Pour quelques jours.
Sans doute n'y avait-il que là
Un arrêt, c'est presque sûr, du soleil
A la tombée du jour, un bon moment,
Comme pour le regarder,
Alors qu'il était
Sur le seuil de la cabane
A savourer, solitaire,
Son gros morceau de pain
Et son vin rouge.
Il se savait dieu.
Ce qu'on disait de dieu,
Lui l'avait vécu.
Il avait été la pierre, l'arbre, le ciel,
La mer et cet homme qui tombe.
Il avait occupé l'espace,
Répandu la pluie et la lumière.
Il avait laissé les choses
Aller leur train de guerre et d'extase.
Il avait prévu la nuit —
Et d'avoir à aimer
Lui faisait accepter
L'éternité.
C'était ici.
C'est ici qu'il renouerait
Avec ce que jamais
Il n'avait rencontré.
L'endroit était
Assez propre, assez quelconque
Pour laver les magnificences
Qui l'accompagnaient, lui,
De leurs images,
Comme pour se venger
De se voir préférer
Ce coin de grenier où rien
Ne lui rappelait rien.
Surtout pas ça :
Il n'était pas maudit,
Pas désigné — par qui? —
Pour le malheur.
Il était comme les autres,
Chargé
De ce quelque chose
Difficile à porter —
Et ce besoin
Comme d'une extase
Interminable.
Aujourd'hui, ces quelques visages
Devinés, pressentis,
Et ce couchant
Qui appelait.
Il avait, au cours
De cette vie déjà longue,
Été assez adulé,
Assez aimé aussi,
Il avait été
Assez maudit, vilipendé,
Plus qu'assez,
Pour que maintenant il accepte
D'être pour de bon abandonné
A ce silence qui depuis longtemps
Lui faisait cortège
Et qui l'attendait pour la fête
A ne plus interrompre.
Plus tard, plus tard —
Voici des mots qu'un jour
Il n'aurait pas à se dire,
A penser.
Il n'y aurait plus
Cette ouverture
De brumes, de collines, d'esplanades
Où il avait à trouver le lieu.
Le monde aurait forclos
Une de ses dimensions,
Celle
Qui éternisait les autres.
Poème publié et mis à jour le: 13 March 2014