Poèmes

Andromaque

par Georges Fourest

..... il n’ira jamais plus loin qu’Andromaque.
Mme de Sévigné.

Ayant mis sa culotte neuve,
ses gants blancs et son frac aussi,
Pyrrhus vient chez madame veuve
Andromaque et lui dit ceci :

« Madame, je suis ce qu’on nomme,
« en tous lieux, un parti charmant :
« poli, rangé, doux, économe,
« sobre, assez bien physiquement ;

« bachelier, très homme du monde,
« en mes propos, toujours décent ;
« ma fortune ? solide et ronde :
« toute immeubles et trois pour cent ;

« On vante mes façons amènes ;
« très propre, jamais un faux-col
« ne me fait plus de trois semaines ;
« pas joueur, et quant à l’alcool,

« je n’aime que la camomille !
« chacun sait (dans le monde entier)
« que je suis de bonne famille
« et de plus roi, de mon métier,

« prince de toutes les Épires,
« ville, champs, banlieue et faubourg :
« eh ! eh ! mon sort n’est pas des pires
« (excusez ce vieux calembour !)

« Dans ces conditions, Madame,
« j’ose demander votre main :
« vous me l’accordez ? Oui ? Bédame !
« sans attendre jusqu’à demain

« et sans chercher plus de mystère,
« voulez-vous acccepter mon bras
« et nous trotter chez mon notaire
« pour signer nos petits contrats ?

« Nous serons un couple modèle :
« mais ne me faites pas cocu,
« ou mordieu ! petite infidèle,
« nous saurons vous botter le cul ! »

Alors, roulant des yeux d’hyène,
comme prise d’un vertigo,
— « Jour de Dieu ! » rugit la Troyenne,
« Oser me parler conjugo,

« à moi, la veuve inconsolable
« d’Hector, ce héros des héros,
« près de qui (ce n’est pas une fable !)
« tous les héros sont des zéros ;

« et qu’un jour, les marchands de cartes
« nommeront valet de carreau !
« Eh mais ! je crois que tu t’écartes
« du respect ! T’épouser, maraud !

« L’ami, pour couver cette idée,
« c’est-il pas que vous êtes bu ?
« Vous ne m’avez pas regardée ?
« Merdre ! dirait le père Ubu ! »

« Ah ! reprend Pyrrhus en colère,
« oui-da ! la belle, c’est ainsi !
« Vous m’envoyez faire lanlaire,
« carogne, eh bien ! oyez ceci :

« Vous avez un môme, un bel ange
« que jusqu’ici j’ai supporté,
« bien qu’il piaille, gâte son lange
« et pisse avec fétidité ;

« eh bien ! vous, madame sa mère,
« — écoutez bien encore un coup ! —
« suivez-moi chez monsieur le maire,
« ou, demain, je lui tords le cou !..... »

Mais ici, ma foi, ça s’embrouille
(justement, c’était le plus beau !)
attendez.... la dame a la trouille....
et va..... consulter un tombeau....

Hermione..... Pylade..... Oreste.....
fureurs... et zut ! Achetez sous
l’Odéon, pour savoir le reste,
un Racine à trente-cinq sous !.....



Poème publié et mis à jour le: 22 November 2022

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top