Poèmes

Odes, Livre Iii

par Pierre de Ronsard

Celui qui est mort aujourd'hui
Est aussi bien mort que celui
Qui mourut aux jours du
Déluge :
Autant vaut aller le premier,
Que de séjourner le dernier
Devant le parquet du grand
Juge.

Incontinent que l'homme est mort,
Ou jamais ou longtemps il dort
Au creux d'une tombe enfouie,
Sans plus parler, ouïr ni voir :
Hé ! quel bien saurait-on avoir
En perdant les yeux et l'ouïe ?

Or l'âme, selon le bienfait
Qu'hôtesse du corps elle a fait,
Monte au ciel, sa maison natale,
Mais le corps, nourriture à vers,
Dissous de veines et de nerfs,
N'est plus qu'une ombre sépulcrale.

Il n'a plus esprit ni raison,
Emboîture ni liaison,
Artère, pouls ni veine tendre,
Cheveu en tête ne lui tient,
Et, qui plus est, ne lui souvient
D'avoir jadis aimé
Cassandre.

La mon ne désire plus rien.
Donc cependant que j'ai le bien
De désirer vif, je demande
Etre toujours sain et dispos,
Puis, quand je n'aurai que les os,
Le reste à
Dieu je recommande.

Homère est mort,
Anacréon,
Pindare,
Hésiode et
Bion,
Et plus n'ont souci de s'enquerre
Du bien et du mal qu'on dit d'eux :
Ainsi, après un siècle ou deux,
Plus ne sentirai rien sous terre.

Mais de quoi sert le désirer,
Sinon pour l'homme martyrer ?
Le désir n'est rien que martyre.
Content ne vit le désireux,
Et l'homme mort est bienheureux :
Heureux qui plus rien ne désire !



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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