A Henri De Régnier.
Psyché.
Petite âme, Psyché mélancolique, dors,
Lys d'aurore surgi des heures ténébreuses,
Tes bras souples et frais et tes lèvres heureuses
Ont rajeuni mon coeur et réjoui mon corps.
Et tu m'as cru, petite âme blanche et farouche,
Tel que ton désir vierge encore me voulait
Pendant tes longs baisers de miel pur et de lait,
Tant que l'ombre a menti comme mentait ma bouche.
Nulle parole et nulle étreinte et nul baiser
N'ont trahi la douleur secrète du cilice;
Mais éveillée avec l'aube révélatrice
Tu frémissais, Psyché fragile, à te briser,
Si le jour désillant ta paupière sereine
Au lieu du doux vainqueur que rêvait ton émoi
Te décelait mes poings crispés même vers toi
Et mes yeux éperdus de colère et de haine;
Car je te hais de tout ton amour, ô Psyché,
Pour les jours à venir et les futures heures
Et les perfides flots de larmes et de leurres
Qui jailliront un jour de ton être caché.
Mais avant que la nuit divine m'abandonne,
Avec le dur métal des gouffres sidéraux
Je forgerai le masque amoureux d'un héros,
Rieur comme l'Avril, grave comme l'automne;
Mort vivant sur les lèvres mortes d'un vivant,
Le masque couvrira ma face convulsée;
Et maintenant que l'aube éclate! O fiancée
Chez qui la femme, hélas! va survivre à l'enfant.
Eveille-toi, rouvre ta bouche qui s'est tue,
Tu n'entendras de moi que paroles d'orgueil
Et je me dresse sous les morsures du deuil
Lauré d'or et pareil à ma propre statue.
Poème publié et mis à jour le: 16 December 2022