Poèmes

Le Pèlerinage Hors de l’Ombre

par Pierre Quillard

Pierre Quillard

I

Ame riche de nuit, d'étoiles et de rêves
Qui puisas des trésors aux urnes d'un tombeau
N'abandonneras-tu jamais tes blêmes grèves
Pour cette ville en fleurs sous le printemps nouveau?

Ame riche de nuit, mon âme, tu recèles
Assez d'astres perdus et de soleils éteints:
Viens connaître la chair et les lèvres de celles
Qui tendent leurs seins nus aux pourpres des matins

Et font en souriant à l'aurore sereine
Fluer entre leurs doigts le sable et leurs cheveux,
Pour que, vivante enfin, ma bouche amère apprenne
A goûter le miel blond des heures. Tu le veux,

Ame lasse déjà des ivresses futures,
Toi qui n'as rien chéri que les pleurs et la mort:
Le vent gonfle d'amour les voiles toujours pures:
Loin de l'île où la blanche Hymnis repose et dort,

Pour moi seul, dans le vain cénotaphe des roses,
Nous irons conquérir son corps ressuscité;
Sans doute elle revit par les métempsycoses
Sur le sol oublieux que parait sa beauté

Et parmi les parfums sauvages des galères,
Les chiens, les portefaix qui geignent en marchant,
Elle va, lourde encor des gloires tumulaires,
Sans que nul ait compris la douceur de son chant.

II

L'écume violée a neigé de la proue;
Les mauves qui mouillaient leurs plumes aux flots noirs
Ont secoué le sel des vagues sur ma joue.

Le sel des vagues! Tels les pleurs d'antiques soirs
Enrichirent jadis de gemmes dissipées
Ces yeux fous aujourd'hui d'aventure et d'espoirs.

Puis la forêt flamba de cruelles épées;
Mais plus d'ombre tombait des branchages pieux
Pour voiler le sommeil inquiet des Napées.

Ainsi les âpres bois ont défendu mes yeux
Jadis et quand le jour en troublait l'eau tranquille,
Ils étalaient dans l'air leur deuil impérieux.

Or maintenant, voici les portes de la ville;
Je franchirai les murs sans désir de retour
Heureux si dans la solitude où je m'exile

L'ombre descend sur moi du temple et de la tour.

III

Farouche de voir les aurores
Et les soleils épanouis,
L'eau tressaillait dans les amphores
Sur la marge grise des puits

Et les ténèbres souterraines,
Les iris de sombre cristal
Se flétrissaient comme des reines
Captives d'un soudard brutal.

Les servantes et les esclaves
Riaient à l'entour; mais tu vins,
Et tu voilas de voiles graves
Les filles des antres divins.

Protectrice des eaux dolentes
Qui sais les rites d'autrefois,
J'ai trempé mes lèvres tremblantes
A la coupe triste où tu bois:

Souviens-toi d'heures et d'années
Et de soleils, étends les mains
Vers les clématites fanées,
Vers les étoiles des jasmins;

Et sur la terre des merveilles
Que pavoisaient de nobles cieux
Fais refleurir les belles treilles
De nos jardins silencieux.

Extrait de: 
La Lyre Héroïque et Dolente, (1897)



Poème publié et mis à jour le: 16 December 2022

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