I
Seule, au sommet d'un rocher, Céléno s'est installée,
oiseau de malheur, qui de sa poitrine laisse éclater ces mots :
"C'est donc la guerre, descendants de Laomédon, en plus du massacre de nos boeufs
et de nos génisses abattues ! Vous vous préparez à nous faire la guerre
et à chasser de leur royaume ancestral les Harpyes innocentes ?
Écoutez donc, et fixez dans vos coeurs la prophétie que voici,
faite à Phébus par le tout-puissant Jupiter, et à moi par Phébus Apollon;
moi, l'aînée des Furies, je vous la dévoile.
Vous courez vers l'Italie, appelant les vents à l'aide :
Vous irez en Italie; il vous sera permis de pénétrer au port.
Mais avant de ceindre de murailles la ville qui vous est destinée,
une faim intolérable et l'injuste massacre que nous avons subi
vous pousseront à saisir dans vos mâchoires et à consommer vos tables".
II
Énée, et les principaux chefs, et le beau Iule,
s'étendent sous les branches d'un grand arbre,
et commencent leur repas. Sur l'herbe ils présentent les mets :
des gâteaux de froment (c'était l'ordre de Jupiter),
et posés sur ce socle de Cérès des fruits champêtres.
Mais, lorsqu'ils eurent tout consommé,
la faim les poussa à mordre dans la galette de blé :
de leurs mains et de leurs mâchoires, ils osèrent entamer,
sans laisser le moindre quartier, le gâteau marqué par le destin.
"Hé, nous avons même mangé nos tables !" dit seulement Iule en riant.
Cette parole fut le premier signal annonçant la fin de leurs épreuves.
Tout de suite, son père Énée la cueillit sur ses lèvres
et, sous l'emprise d'une puissance divine, l'interrompant,
ajouta aussitôt : "Salut, terre promise par les destins,
et salut à vous, ô fidèles Pénates de Troie.
Voici notre demeure, voici notre patrie.
Poème publié et mis à jour le: 11 November 2019