Elles égrènent le rosaire ou nattent leurs cheveux, les brunes andalouses, nonchalamment bercées au pas de leurs mules; quelques-uns des arrieros chantent le cantique des
pèlerins de Saint-Jacques, répété par les cent cavernes de la Sierra; les autres tirent des coups de carabines contre le soleil.
« Voici la place, dit un des guides, où nous avons enterré la semaine dernière José Matéos tué d'une balle à la nuque, dans une attaque de brigands. La
fosse a été fouillée, et le corps a disparu.
- Le corps n'est pas loin, dit un muletier, je l'aperçois qui flotte au fond de la ravine, gonflé d'eau comme une outre.
- Notre-Dame d'Atocha, protégez-nous ! » s'écriaient les brunes andalouses, nonchalamment bercées au pas de leurs mules.
« Quelle est cette hutte à la pointe d'une roche? - demanda un hidalgo par la portière de sa chaise. - Est-ce la cabane des bûcherons qui ont précipité dans le
gouffre écumeux du torrent ces gigantesques troncs d'arbres, ou celle des bergers qui paissent leurs chèvres exténuées sur ces pentes stériles ?
- C'est, répondit un muletier, la cellule d'un vieil hermite qui a été trouvé mort, cet automne, en son lit de feuilles. Une corde lui serrait le cou, et la langue lui
pendait hors de la bouche.
- Notre-Dame d'Atocha, protégez-nous ! » s'écriaient les brunes andalouses, nonchalamment bercées au pas de leurs mules !
« Ces trois cavaliers, cachés dans leurs manteaux, qui, passant près de nous, nous ont si bien observés, ne sont pas des nôtres. Qui sont-ils ? demanda un moine à
la barbe et à la robe toutes poudreuses.
- Si ce ne sont, répondit un muletier, des alguazils du village de Cienfugos en tournée, ce sont des voleurs qu'aura envoyés à la découverte l'infernal Gil Pueblo, leur
capitaine.
- Notre-Dame d'Atocha, protégez-nous ! » s'écriaient les brunes andalouses, nonchalamment bercées au pas de leurs mules.
« Avez-vous entendu ce coup d'espingole qu'on a lâché là-haut parmi les broussailles - demanda un marchand d'encre, si pauvre qu'il cheminait pieds nus. Voyez ! la
fumée s'évapore dans l'air !
- Ce sont, répondit un muletier, nos gens qui battent les buissons à la ronde, et brûlent des amorces pour amuser les brigands. Senors et senorines, courage, et piquez des deux
!
- Notre-Dame d'Atocha, protégez-nous ! » s'écriaient les brunes andalouses, nonchalamment bercées au pas de leurs mules.
Et tous les voyageurs prirent le galop au milieu d'un nuage de poussière qu'enflammait le soleil; les mules défilaient entre d'énormes blocs de granit, le torrent mugissait dans
de bouillonnants entonnoirs, les forêts pliaient avec d'immenses craquements; et de ces profondes solitudes que remuait le vent, sortaient des voix confusément menaçantes, qui
tantôt s'approchaient, tantôt s'éloignaient, comme si une troupe de voleurs rôdaient aux environs.
Poème publié et mis à jour le: 16 November 2012