Chaque matin, dès que les ramées avaient bu l'aiguail, roulait sur ses gonds la porte de la maladrerie, et les lépreux, semblables aux antiques anachorètes,
s'enfonçaient tout le jour parmi le désert, vallées adamites, édens primitifs dont les perspectives lointaines, tranquilles, vertes et boisées ne se peuplaient que de
biches broutant l'herbe fleurie, et que de hérons pêchant dans de clairs marécages.
Quelques-uns avaient défriché des courtils : une rose leur était plus odorante, une figue plus savoureuse, cultivées de leurs mains. Quelques autres courbaient des nasses
d'osier, ou taillaient des hanaps de buis, dans des grottes de rocaille ensablées d'une source vive, et tapissée d'un liseron sauvage. C'est ainsi qu'ils cherchaient à tromper
les heures si rapides pour la joie, si lentes pour la souffrance !
Mais il y en avait qui ne s'asseyaient même plus au seuil de la maladrerie. Ceux-là, exténués, élanguis, dolents, qu'avait marqués d'une croix la science des
mires, promenaient leur ombre entre les quatre murailles d'un cloître, hautes et blanches, l'œil sur le cadran solaire dont l'aiguille hâtait la fuite de leur vie, et l'approche
de leur éternité.
Et lorsque adossés contre les lourds piliers, ils se plongeaient en eux-mêmes, rien n'interrompait le silence de ce cloître, sinon les cris d'un triangle de cigognes qui
labouraient la nue, le sautillement du rosaire d'un moine qui s'esquivait par un corridor, et le râle de la crécelle des veilleurs qui, le soir, acheminaient d'une galerie ces mornes
reclus à leurs cellules.
Poème publié et mis à jour le: 16 November 2012