Deux vrais
Amis vivoient au
Monomotapa :
L'un ne possédoit rien qui n'appartînt à l'autre.
Les amis de ce pays-là
Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s'occupoit au sommeil,
Et mettoit à profit l'absence du soleil.
Un de nos deux
Amis sort du lit en alarme;
Il court chez son intime, éveille les valets :
Morphée avoit touché le seuil de ce palais.
L'Ami couché s'étonne; il prend sa bourse, il s'arme.
Vient trouver l'autre, et dit : «
Il vous arrive peu
De courir quand on dort; vous me paroissiez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu?
En voici.
S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons.
Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul?
Une esclave assez belle Étoit à mes côtés : voulez-vous qu'on l'appelle? —
Non, dit l'Ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :
Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes, en dormant, un peu triste apparu;
J'ai craint qu'il ne fût vrai; je suis vite accouru
Ce maudit songe en est la cause. »
Qui d'eux aimoit le mieux?
Que t'en semble, lecteur?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose!
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur;
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même;
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012