Poèmes

Le Passager Clandestin

par Julien Gracq

Quelquefois j'étais transporté sur un rivage démesuré de ville glorieuse, enverguée à l'air de ses mille mâts, criant dans l'air comme un geyser éteint
ses cris figés de pierre, une pyramide haute de murs à la patine soyeuse où dans les rues du soir se prenait comme une glace au-dessus de la banquise de la mer le cristal noble
de l'air sonore, et très loin par-delà les hautes murailles des trompettes calmes sans cesse protégeaient une solennité mystérieuse, — un port du large lavé
des vents et dévasté par une mer où plongeaient rouge les soleils rapides, et là, couché au bout d'un môle, au ras des vagues penchées toutes et courant
bouclées d'un seul souffle emportant, — sur mes épaules, les tours et les dômes dorés fumants d'une poussière de soleil dans le bleu exténué sous le
harnais de la journée chaude, — fasciné par un songe salé d'embrun solaire et sur mon dos l'énorme gonflement de bulles de ces carapaces séculaires, les corridors
de crime de ces millions d'alvéoles, les places désertes autour des statues de gloire et des spectres du grand jour, les porches des palais aveugles empanachés noir d'un
claquement ténébreux d'oriflammes, comme un homme qui crie en plein midi — la ville aspirée avec moi dans le miroir débordant du soir se déhalait sur la mer dans
un grésillement de braise, fendait l'eau d'une poitrine monstrueuse sous ses colonnes de toile, sur une houle de rumeurs et de silence, sous le brouillard de lumière vivante et le
buisson ardent de ses drapeaux.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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