Sur cette plage où la neige volait de conserve avec de légères frondaisons d'écume, aux rayons du soleil de cinq heures, je sonnais à la grille du palais Martinengo.
J'étais seul au centre géométrique de ce gigantesque haussement d'un sourcil de sable — encore quelques minutes et les dunes sonnant la retraite allaient me barrer le
passage des vagues de leurs blonds escadrons. La sonnerie pénétrait comme un quatorze juillet de pétards et de drapeaux des corridors somnolents comme de l'huile, des galeries de
bronze aux dérisoires armures de pacotille, dérangeait sous un repli d'ombre le coffre aux trésors. Le bois de pins, derrière, était tout à coup semblable à
la lumière minérale des projecteurs, quand l'orchestre prélude au clair de lune de Werther. C'était bien, je pouvais me le dire avec ravissement, la solitude. Au-dessus de
moi claquait au vent, solennel comme un portant de théâtre, le volet d'une haute fenêtre au milieu d'une galopade de sable. La mer tonnante d'un bout à l'autre de la baie
raccourcissait l'issue d'une escapade douteuse. De la main gauche je cherchais à briser le plus délicatement possible la vitre d'un de ces charmants coffrets du xvm° où se
dissimule parfois la bouche d'un avertisseur d'incendie. Le spectacle qui s'ensuivit ne pourrait trouver d'analogie que dans une panique nocturne de transatlantique, une explosion de batterie
de jazz, un carnaval de jugement dernier, lorsque d'un seul élan trente sonnettes comme des vrilles taraudèrent les fondations de l'hôtel, et avec la majesté d'une sonde
touchant le fond de la fosse des Philippines descendit vers moi comme un rideau de fenêtre la barbe du patriarche de l'Adriatique.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012