Poèmes

Le Lever des Amants

par Michel Leiris

Les draps d'abord rejetés

maintenant ramenés par dessus les montagnes cutanées

et la forêt des têtes sont des manteaux de tragédiens à l'instant où se couche le soleil et où les tragédiens couvrent leur face opposant à la
lumière pourprée le blanc laiteux des

toges hautes voilures abstraites à l'ombre desquelles des souffles écrasés se cachent

Campement fugace des amants

sous la minceur des tissus protégeant le trafic des

caresses qui s'opère scandé par des balbutiements

la tiède concavité des draps enferme dans son alvéole ce miel à peine bruni par l'inquiétude mêlée à la joie

temporaire la rosée douce des corps

exsudée quand ils confrontent à leur nuit intérieure la transparence réciproque et le matin de leurs peaux

Loin du vent des paroles ennemies

du grésil des prisons

et de la chaleur de plomb des suzerainetés policières

bâtissons un château

sans pont-levis ni donjon

hormis les architectures ébauchées par nos mains

vassales de la royale saison

où notre conjonction se noue

Ramages laineux en signes arabes sur le sol

en caravanes fouettées de sable et morfondues par la

rigidité des murs malgré l'élan des entrelacs inextricables à jamais refermés comme la courbure des lèvres soumises au poids de leur propre secret
Tapis bénin à nos pieds nus quand ils renoncent à leur

commun plan de clivage parmi les sédiments en pâte feuilletée de la literie et découvrent en foulant les festons des arabesques pareilles à celles qui dans la
dépression

de nos paumes tracent sa route compliquée de tours et de retours àl'égrènement futur des journées et des nuits midi nous voit debout sur ce tissu moelleux substituant
à la blancheur dont

alternativement nous nous drapions et nous nous

dévêtions un fond propice au départ vers la docilité des gestes

quotidiens qu'on accomplit en somnambules

nonobstant l'absence de ces amples tuniques où

s'enveloppe le sommeil comme si l'autorité des statues et des héros de théâtre

s'obtenait au prix d'un autre ensevelissement celui de notre agilité diurne à sécheresse de tambour sous la voûte moite et étouffante que seule éclaire la poix des
cris

Viendront alors

après les tragédiens dont les vagues craintivement se

retirent l'ancêtre à redingote la belle-mère de vaudeville la cousine à frais mouchoir la boniche à beaux nichons et le tendre réseau de fils d'archal des larmes
accessoires poussiéreux pour la lente pantomime dont

longtemps nos bouches ricaneront avant la chute sans phrase dans la transmutation

sénile et le vide incisif de la mort

Octobre 1943



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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