Aminuit, par un clair de lune coupant comme un rasoir, je détachais l'amarre de la galère funèbre, — et voguais. De longues étendues de terre plaine, des vols de
ramiers blancs fantomatiques contre les berges, c'était le premier éveil de cette marine féerique que j'improvisais dans le creux du paysage nocturne. Solennels et funèbres,
des chevaliers aux armures de sable me saluaient sur les berges du flamboiement fleurdelisé de leurs bannières — une haie d'oriflammes dessinait sur l'eau bleue comme du
pétrole la carrière ouverte au triomphateur. A l'horizon, les vagues se perdaient dans de grands points d'orgue — parfois une trombe ardente, un gantelet de cristal, un doigt
pointé comme l'index d'un cadran solaire figuraient le zodiaque familier de ces périples mal définis.
A des fanaux soudain plus clairs, au branle-bas humide d'un appareillage nocturne, à mille feux Saint-Elme brillant sur les agrès, je pouvais déceler l'approche des brises du
large comme le souffle d'une cave humide, puis c'était le coudoiement amical des pétroliers, d'immenses estacades de brumes, les balustrades géantes où s'accoudaient pour
l'adieu vat les figurants majestueux avec leurs barbes de neige, leurs fracs et leurs éventails de théâtre, les éclaboussures salines et noires de suie où frissonnaient
des épaules de marbre et, porté déjà sur l'encolure de la première houle et tout à coup en selle, le coup de clairon du lâchez tout saluait le
débordement de la jetée.
Poème publié et mis à jour le: 12 July 2017