Poèmes

L'Appareil a Éventrer

par Henri Michaux

Henri Michaux

Il y a des époques où je ne peux me mettre au lit sans être opéré.
Aussitôt l'œil fermé, le lit, d'un mouvement impérieux, est soulevé en l'air et j'aboutis non loin du plafond.

Alors descend sur moi l'appareil à opérer.
Sur un bâti solide sont plantées des fraiseuses.

Sous l'appareil capable sans effort d'arracher des copeaux d'acier à une barre compacte, y laissant un profond trou lisse, je me raidis désespérément.
Non, plutôt comme qui espérerait encore.
Je me raidis, je me raidis, je me raidis d'un raidissement tel que, quittant ma nature faible pour une sorte de tablier vibrant et dur et parcouru de courants qui galvanisent, il n'est pas de
trop de ces engins métalliques éprouvés pour percer ma surface tendue énergiquement.

Jusque-là, jusqu'à ce que percée soit obtenue, je garde malgré la situation capable de démoraliser un robot, je garde une intrépidité sans mélange.

Mais ensuite!
Ensuite... quand cet appareil à éventrer (car comment croire à une opération pour laquelle il n'est évidemment pas équipé, du moins pas pour la mener à
bien?) quand donc cet appareil à éventrer a fait sauter ma surface, de si peu que ce soit, de l'épaisseur du derme en son endroit le plus ténu, alors, alors ma nature, qu'un
rien, qu'un ongle écrasé abat, ma désolante nature...
Mais quelle nature résisterait à l'atroce pénétration? je le demande.



Poème publié et mis à jour le: 12 July 2017

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