Poèmes

L’habitude

par Sully Prudhomme

L’habitude est une étrangère

Qui supplante en nous la raison :

C’est une ancienne ménagère

Qui s’installe dans la maison.

Elle est discrète, humble, fidèle,

Familière avec tous les coins ;

On ne s'occupe jamais d’elle,

Car elle a d’invisibles soins :

Elle conduit les pieds de l’homme,

Sait le chemin qu’il eût choisi,

Connaît son but sans qu’il le nomme,

Et lui dit tout bas : « Par ici. »

Travaillant pour nous en silence,

D’un geste sûr, toujours pareil,

Elle a l’oeil de la vigilance,

Les lèvres douces du sommeil.

Mais imprudent qui s’abandonne

À son joug une fois porté !

Cette vieille au pas monotone

Endort la jeune liberté ;

Et tous ceux que sa force obscure

A gagnés insensiblement

Sont des hommes par la figure,

Des choses par le mouvement.



Poème publié et mis à jour le: 16 November 2012

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