Poèmes

Festin

par Michel Leiris

Plusieurs hommes se sont mis à table

ils ont mangé leur soupe d'outils dépecé l'hydre des

instruments mais la table garde ses quatre pieds qui la rivent à la

terre long fleuve dont les remous enchaînent les pas des

femmes et des enfants

C'est un repas très compliqué fastueux comme un repas

de noces un mur torride que construisent d'étranges aliments calcinés par le soleil des yeux dont les lueurs jamais

ensemble ne s'éteignent parce que dès qu'on ouvre une porte c'est la fenêtre

qui se ferme tant est impossible à contenir le courant d'air mouvant

Les hommes chantent et se bousculent ils rient et la vaisselle se ternit étoilée de taches de graisse dont les éclairs hilares déchirent le ciel de porcelaine lorsque la
pluie souille les nuits

Ils crient
Ils suent
Ils échangent des bourrades mais l'eau tremble à peine dans le creux des carafes et les animaux restent couchés aussi dociles que leur pâture d'ossements

Pour dessert on apporte un grand gâteau de givre
Quelle terrible froideur après les viscères fumants!
Cela forme une haute tour dont le sommet subit le

choc de tous les vents vantaux glacés qu'ouvre très loin de là une main aux

doigts amers une main aux lignes festonnées mauvaise machine à

coudre qui pique les langues de dentelle les massacre d'entailles comme le corps d'un criminel

surpris

C'est un immense monceau de glace un château-fort garni de piques et de déesses dont les bras traînent la poussière des regards et durement les enferment
Les archers geignent de terreur et de froid leurs armes se courbent puis se redressent quand passent ces femmes aux têtes de voleurs et de mangeurs d'enfants

Que tous les convives soient surpris

cela fait naître le sourire aux bouches de ces jolies

sorcières qui se moquent pas mal d'être tout bas maudites par ces hommes dont les dents gèlent et se contractent dans le bagne de leurs mâchoires ou de la
Sibérie

J'aime écouter tomber les flèches de ces rires enchantés sur la cible du ciel où les nuages se dérident
En bas se gonfle l'orgue sanguinaire des voix de ceux que déçurent ces reines sans mélancolie

au grand banquet des fringales carnassières des caresses de cristal et des plaisirs vivants



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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