I
Noire géométrie
sur l'ombre incohérente,
une montagne qui n'est qu'une aile
volant immobile vers
La
Havane
et tout en haut
— ou tout au bout —
un feu.
Dans peu d'instants, allumée par un autre feu, l'aurore pointera en bas derrière le gel du hublot.
II
J'aimerais dire que la pluie nous ligotait de ses cordes, qu'elle dressait autour de nous les murs de son château d'eau.
Mais je, ce n'est pas tu, ce n'est pas il, ce n'est pas vous, ce n'est pas nous.
Moi seul je songe
à ces torrents subis dans la clarté d'un même instant
et crée
— sur le papier —
le lieu où nous serait chez lui.
III
Comme si la perle n'existait que dans la saumure de son buitre, le lion dans sa brousse, l'agneau dans sa bergerie, amarres rompues, la fièvre tombe, le ciel s'éteint, la dorure
s'écaille.
Bientôt
quand je foulerai le sol d'hiver
tout me criera que je trahis.
IV
Pour rêver,
le jour pas encore délesté
de ses aubes et de ses couchants trop tendres
— sorbets
ou punchs à flamme safranée —
est moins avare que ne sera la nuit.
V
Quel singe aux babines bleues
planterait en terre des images,
faux grains,
faux poids,
mais peut-être faux mensonges
si ces reflets fructifient?
Plus tard,
chez
Natte-Révoltée et sa fille
Alina,
j'irai voir si le sol du jardin
ne s'est pas rebellé
contre les doux arbustes neufs
et leur discours sans paroles.
Vi
Montrées avec des vivants sous les feux d'un même théâtre,
petites et dures
les marionnettes sont éclipsées
par les figures humaines embobelinées dans la lumière
tissant ce spectre, leur beauté.
Brume sans opacité,
douce cosse brillante dont l'infinie minceur
les offre plus fraîches,
bien que plus pâles et plus distantes,
retranchées derrière le rien qui les enserre
et les colle au regard.
VII
Perdue cette allure déliée,
poursuivre dans l'ennui
ce qui fut entamé dans la joie,
m'engluer pour me renflouer,
étayer ma ferveur
en m'asseyant à une table de bureaucrate,
n'est-ce pas l'erreur après quoi
je n'aurais qu'à tirer l'échelle?
VIII
En tuyaux d'orgue
mes dents si hautes,
si longues,
pareilles à celles de l'ogre qui me mange
et qui à jamais m'empêchera, coureur trop vite essoufflé, de rattraper cette révolution pour,
Fortune, la saisir aux cheveux.
IX
Tant qu'à la froide neutralité de la feuille blanche
en divaguant
je n'aurai pas infusé sa brûlure,
le poison qui me tourmente
ne cessera de ronger mes entrailles.
X
De ces réalités
qui m'ont rendu à la vie
restera-t-il autre chose qu'un parfum
au creux le moins accessible de ma tête
quand j'aurai basculé
du côté de nos méridiens?
XI
Pour ranimer
je dois parler.
Mais comment parlerais-je
dès lors que la coupure me laisse inanimé?
XII
Grande chasse aux nuages, saute-mouton,
jeu de bagues.
J'ai tout loisir
d'observer et d'imaginer,
assez de loisir pour que le temps vide
s'ouvre à perte de vue
et, doigt posé sur les lèvres,
m'attire vers son point de fuite.
XIII
Évanouis les palmiers
résorbés dans l'éclaboussement de leurs palmes,
trouverai-je un regain
là où la plaine se déplie comme un lit
si bien bordé
qu'il ne peut inciter qu'au sommeil?
Découvrir l'agriculture interne
qui permettrait de faire pousser en soi
les folles essences faute de quoi
il n'y a pas de nourriture qui tienne.
XIV
Mirage passé,
non futur comme l'achèvement de la révolution,
c'est cela que,
mises en place par mon retour à ma place,
sont devenues ces heures
durant lesquelles il me semblait
que d'innombrables mains me portaient
plus haut que je ne porte le front.
Mirage ancien,
de regret plutôt que de soif.
Mais si vers un avenir pour nous présent l'étoile plus que millénaire a projeté son rayonnement, mon courage se fera diamant.
XV
Le chemin grand ouvert
avec le soleil au bout
s'embrouille
dès que le jour met bas les armes.
On tâte, on se fourvoie,
la faute n'en est à personne.
Pour gagner le terrain hors cadastre il n'y a pas de voie royale.
XVI
À
Sagua la
Grande
on habite des maisons de dentelle :
le bois festonne de stalactites les vérandas,
le stuc propose ses décors de bûche de
Noël,
le fer, en se contournant,
copie les ondins et les elfes.
A
Sagua la
Grande
on rencontre des camarades
—
Casimiro,
Tranquillino —
mais les diables qui eux aussi
devraient être nos camarades
ne viennent plus que par ouï-dire
et ne circulent que de bouche à oreille.
XVII
Être l'une des cervelles fêlées que l'on soigne, à
Cuba, en leur faisant élever des poules et cultiver des rosiers
I
En moi remous et visées,
flamme et glace,
sang et idée
se sont malignement soudés.
Rouges ou noirs,
les dieux d'aucune sainterie
ne sauraient dissoudre ce bloc viscéral
que j'essaye en vain de changer en cristal.
XVIII
Drogue sonore
filtrée par la rousseur des cloisons,
le lancinement précipité d'un paso-doble
escorte
la marche sans rythme de l'ascenseur.
Celle qui debout
régit le voyage vertical
est-elle la fille épaisse
mais non sans grâce
dont le visage débonnaire a l'air un peu chinois?
Dans ma poitrine,
je le sais,
défile une entière cuadrilla.
XIX
Opération contre-arc-en-ciel :
pas d'œil mi-clos vers les nuées,
pas de recours éperdu à un prisme
distillant ses mille couleurs,
pas de contorsion incurvant à l'extrême
une échine de bête prise au piège,
pas de plongée dans l'absence
d'un alcool trop tôt évaporé,
arête de silex,
le désir de devenir ici
l'homme sans tavelures ni eaux-mortes
que sous le vent décapeur
je me voulais là-bas.
Guanabacoa
ancré en moi
avec son cortège de petites rues
et son musée où une vieille auto
dort dans une forêt de reliques et de documents,
basque ou indien,
au souffle de quel astre
ce nom est-il allié
pour maintenant se glisser entre deux eaux
et me hanter,
quand
sur l'autre versant de la mer
je ne l'apprenais jamais
que pour le laisser fuir...
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012