Poèmes

Décor

par Michel Leiris

Lorsque les tables souillées par de sales agapes
Benteut leur bois se hérisser

le velours des écrins s'éraille sous la poussée trop lourde des bijoux aux arêtes émoussées par la fatigue des orgies

Les diamants se taisent dans leur cage étoffée

plus épaisse que toute la terre momentanée de draps

sous laquelle ton corps illuminé s'ensevelit

Il faudrait déjouer une triple couche d'embûches pour parvenir jusqu'à cette miraculeuse chair polie fragment lunaire que toutes les forces rayonnées des

ossements jointes en ce point unique ouvert au vide ou à la

plénitude de la blancheur sur un lin de tristesse ont engendré

Les lettres vieillies reposent au fond des tiroirs sans se distraire des arabesques qui les couvrent pattes de mouches misérables clouées aux pages par

la plume comme des papillons

A travers les vitres passent des bruits tamisés

des parfums multiples depuis celui du gaz qui se

consume au cœur des réverbères jusqu'à celui d'une joue très douce que mouillent des

larmes

Dehors c'est la chute sans limite des aigles amortis dans leur dégénérescence par un souvenir de plumes

raidies une descente lente d'écheveaux de laine où les griffes

s'empêtrent becs rivés à la malédiction yeux mesurant le trottoir

les caves piètres larges carcasses d'oiseaux s'incrustant dans la mollesse

du bitume tandis qu'un courant d'air chaussé de brume passe repasse siffle

se déhanche fraîche prostituée



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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