Ci-dessous gît et loge en serre
Ce très gentil fallot
Jehan
Serre,
Qui tout plaisir allait suivant,
Et grand joueur en son vivant,
Non pas joueur de dés ne quilles,
Mais de belles farces gentilles.
Auquel jeu jamais ne perdit,
Mais y gagna bruit et crédit,
Amour et populaire estime,
Plus que d'écus, comme j'estime.
Il fut en son jeu si adextre,
Qu'à le voir on le pensait estre
Ivrogne, quand il se y prenait,
Ou badin, s'il l'entreprenait.
Et n'eût su faire en sa puissance
Le sage : car à sa naissance
Nature ne lui fit la trogne
Que d'un badin ou d'un ivrogne.
Toutefois je crois fermement
Qu'il ne fit onc si vivement
Le badin qui rit ou se mord,
Comme il fait maintenant le mort.
Sa science n'était point vile,
Mais bonne : car en cette ville
Des tristes tristeur détournait,
Et l'homme aise en aise tenait.
Or bref, quand il entrait en salle
Avec une chemise sale,
Le front, la joue et la narine
Toute couverte de farine,
Et coiffé d'un béguin d'enfant,
Et d'un haut bonnet triomphant,
Garni de plumes de chapons,
Avec tout cela, je réponds
Qu'en voyant sa grâce niaise
On n'était pas moins gai ni aise,
Qu'on est aux champs
Elysiens.
O vous, humains
Parisiens,
De le pleurer pour récompense
Impossible est : car quand on pense
A ce qu'il soûlait faire et dire,
On ne se peut tenir de rire.
Que dis-je ? on ne le pleure point ?
Si fait-on.
Et voici le point :
On en rit si fort en maints lieux
Que les larmes viennent aux yeux.
Ainsi, en riant on le pleure,
Et en pleurant on rit à l'heure.
Or pleurez, riez votre saoul,
Tout cela ne lui sert d'un sou :
Vous feriez beaucoup mieux (en somme)
De prier
Dieu pour le pauvre homme.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012