I
J'ai triste d'une ville en bois,
—
Tourne, foire de ma rancœur,
Mes chevaux de bois de malheur —
J'ai triste d'une ville en bois,
J'ai mal à mes sabots de bois.
J'ai triste d'être le perdu
D'une ombre et nue et mal en place,
—
Mais dont mon cœur trop sait la place —
J'ai triste d'être le perdu
Des places, et froid et tout nu.
J'ai triste de jours de patins
—
Sœur
Anne ne voyez-vous rien ? —
Et de n'aimer en nulle femme ;
J'ai triste de jours de patins,
Et de n'aimer en nulle femme.
J'ai triste de mon cœur en bois,
Et j'ai très-triste de mes pierres,
Et des maisons où, dans du froid,
Au dimanche des cœurs de bois,
Les lampes mangent la lumière.
Et j'ai triste d'une eau-de-vie
Qui fait rentrer tard les soldats.
Au dimanche ivre d'eau-de-vie,
Dans mes rues pleines de soldats,
J'ai triste de trop d'eau-de-vie.
II
Je n'ai plus de ville,
Elle est soûle
Et pleine de cœurs renégats,
Aux tavernes de
Golgotha,
J'en suis triste jusqu'à la mort ;
Je n'ai plus de ville,
Elle est soûle.
Mon
Dimanche est mort pour de bon ;
Dans les armoires de mes torts
Mes robes ont changé de ton,
Vides, les robes de ma mort
Sont mortes et pour tout de bon.
Et sont mortes les bien-aimées ;
Et ma seule religion,
Aux huiles d'extrême-onction,
Va mourir loin des bien-aimées ;
La mort meurt et les bien-aimées.
Et tout vit, pour que bien s'annule
La chair dans les robes qui brûlent,
Où les baisers même sont mal ;
Et tout vit, pour que bien s'annule
La chair dans les robes qui brûlent.
IV
Maçons de ma communion
En œuvre pour la ville-extase,
Faites rire la blanche grâce
Des églises et des maisons,
Maçons de ma communion.
Maçons des mains, maçons des pieds,
Levez dans mes loins terrains vagues
La ville en rond comme une bague,
Et d'enfants pleine, et de pitié,
Maçons des mains, maçons des pieds.
Maçons de joie sur les échelles,
Maçons tout-droit dans du beau ciel,
Couvrez-les, mes maisons nouvelles,
De chaume blond ainsi qu'un miel,
Maçons de joie sur les échelles.
Maçons très doux, prenez la neige
Pour mortier, et n'oubliez point
Les bonnes madones aux coins
Des ruelles où sont les miens ;
Maçons très doux, prenez la neige.
Maçons, du revers des truelles,
Ecrasez et juifs, et serpents ;
Maçons, en beaux tabliers blancs,
Bâtissez au chant des truelles
La ville de mes trois arpents.
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012