"S'il vous arrive d'aventure,
sur votre chemin et de bon matin,
de vouloir voir un crétin
allez à Pantin, vous y trouverez Corentin."
Voilà ce qui est dit et pensé à Pantin
par de très nombreux citadins.
Et voici quelques explications
qui éclaireront votre raison.
Corentin vient d'Amiens.
Il a le regard malin
un sourire en coin
et le visage un rien poupin.
Dès qu'il a quatre sous
ce vagabond file chez le buraliste
acheter une quantité de tabac
qu'il fume à en avoir l'air las.
Des histoires, il n'en ferait pas.
Mais, du tabac, il ne se priverait pas
d'en demander à des gars
qui, comme lui, ont une voix en clef de fa.
Puis dès qu'il possède quatre autre sous
cet infortuné file chez le caviste
acheter des doses d'alcool
qu'il boit loin des bonnes habitations
à se saouler la gueule
toujours sur fond "d'engueules".
C'est pourquoi, il est dit à Pantin
que Corentin est un parfait crétin.
Mais il n'y a pas que ces seules explications.
En voici une grosse comme une maison.
Dès que Corentin a quatre nouveaux sous,
ce marginal file à Pigalle,
l'estomac cassant la dalle,
mater des films en salle,
à en voir de drôles d'escargots
dans les yeux mi-clos de Margot
Quand ce se sont des fruits de mer,
dans le regard embrasé, mais amer,
de nymphes aux beautés éphémères.
C'est pourquoi il est dit à Pantin
Que Corentin est un parfait crétin.
Mais j'ai connu Corentin à Pantin
comme vous l'avez connu les matins.
Puis je l'ai connu le soir
quand il est plongé dans le désespoir
gagné par le désarroi et l'effroi,
plié sous les bannières et les nombreuses croix
des gens qui n'ont plus de toits,
des sans-abri qu'on affectionne en crétin.
Il était au plus bas
dans une rue en contrebas
vivant dans une boîte en carton
et se répandant dans une vie à l'abandon.
Je l'ai trouvé en détresse
le cœur affamé de tendresse,
en quête de fortes espérances
sur les chemins de l'errance.
Corentin m'a dit « tu sais, Faustin,
je ne suis ni un angelot ni un macho,
mais la rue, je ne la sais que trop.
Elle est bobos, alcool et hosto.
Il faut que tu saches autre chose, Faustin,
le monde ne fait pas de cadeaux
aux zozos qui se prennent pour des charlots.
Tu sais, j'espère toujours après un boulot
pour vivre auprès de Margot,
avoir de nombreux marmots,
dans une maison aux beaux rideaux
qui ne serait plus un sombre cachot.
Quelquefois je vais à l'église de Shilo
quand c'en est trop pour mon dos.
Et là, en sanglots, je dépose mon fardeau.
Je fais alors le barbeau.
Je vais au fil de l'eau
et je nage comme un poisson
Dans le fleuve où passent les saisons.
Je m'avance pour la grande moisson.
Il est comme ça le Corentin
que je connais à Pantin.
Il est ni angelot ni macho
Mais barbeau et toujours sans boulot.
Alors s'il vous arrivait d'aventure
d'aller votre chemin de bon matin
et de croiser Corentin à Pantin,
pensez à son désespoir.
Vous saurez, cela est certain,
Que cette peau de chagrin
n'a rien d'un crétin.
Corentin est jeté dans les cartons,
les emballages de nos indifférences.
Il est livré aux chaudrons, aux marmitons
de nos délires et de nos démons.
Il est au désespoir et sous l'assommoir
des politiques comiques
quand elles ne se révèlent pas sadiques
de nos belles et grandes républiques.
Corentin n'est pas un crétin.
Il est profondément humain.
Il est simplement Corentin de Pantin.