Quelques encablures à peine de ma chambre, j'étais parfois surpris, à peine entamée ma promenade matinale, par des éclats dissonants de cuivre provenant d'une gracieuse
maisonnette de briques en démolition.
Sur les thèmes choisis de ce mystérieux orphéon des ruines, j'imaginais derrière cette façade de plâtras tristes toute une théorie de tonnelles ingénues
et matinales, où des électriciens en cotte rouge, de blondes marcheuses des trottoirs de l'aube, des cortèges au sérieux travesti professionnel face au soleil levant
dissipaient à part soi leurs brumes nocturnes dans quelques-unes de ces chopes d'étain ouvragées qui font si belle figure au premier plan d'une bacchanale
d'opéra-comique.
Se figure-t-on rien de plus charmant, avant le départ hâtif vers le travail sous les brandebourgs et les galaxies avenantes d'un bleu de chauffe, que le chœur rafraîchi de
rosée, éventé de girandoles éteintes, qu'élèvent vers le soleil ces machinistes ingénus pour tout le jour condamnés à une dissimulation d'apaches
dans les coulisses les plus poussiéreuses d'une ville moderne ?
Un bal-minute, l'envol dans le chien et loup de l'aurore d'un jupon de dentelles, c'était la limite de ce que je pouvais imaginer des scandales de cette minuscule enceinte dissimulée
aux arpenteurs de bitume par la retombée conventionnelle d'une courtine de plâtres promise aux trois coups du démolisseur.
Mais déjà une jolie taverne de poutres mal équarries se permettait de faire chanter ses volets dans le soleil de l'aube, comme s'ouvrent les élytres matinales des joyeuses
bestioles des jardins.
Déjà la rue m'appelait accueillante; les pavés en grand arroi reprenaient leur place dans leurs alvéoles — rien, n'est-ce pas, ne s'était passé — et
comme un loup sur le visage le plus troublant d'une femme aux débauches folâtres, après leur entrechat matinal les réverbères et les poubelles branlantes avaient repris
leur faction de conserve sous l'oeil militaire des balayeurs municipaux.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012