Poèmes

André Masson

par Michel Leiris

Des philosophes aux mains de joueurs des nécromants aux lèvres de buveurs des assassins aux regards plus légers que des plumes

d'oiseau c'est cette foule voyageuse aux pieds éternellement pris

dans des lacets de sable qui compose l'étrange nation dont le drapeau de sang lut teint de cette nuance maléfique un jour que les

poissons par amour du désastre décidèrent de se vouer au feu et d'abandonner l'eau

Fruits de misère

gonflerez-vous vos prunelles éclatantes jusqu'à briser

les sexes et les colonnes les carcasses défigurées

les astres ravagés par
Je désir des chairs d'alcool les profils liés à l'histoire des caresses les crânes de pierre les croupes figées?

Chaque objet traîne avec soi le cône d'ombre qui est la rançon de sa lumière

et sur le bord de cet entonnoir aux parois abruptes il vacille

n'attendant qu'une lame et sa pointe meurtrière

pour supprimer ce cône ou l'y précipiter

Les chaînes qui nous lient ont des anneaux de toutes sortes

mailles claires mailles obscures constamment alternées

Au grand-mât des chairs vivantes pend une voile parfaitement blanche

découpant sur la mer le couteau noir de son triangle reflété

mais les corsaires qui parcourent l'océan à la poursuite d'un trésor

conduits par leur figure de proue

sont seuls capables de choisir entre l'ombre et la proie

Lumière et sang

Sang et ombre

Sang et proie

Lumière de proie
Sang de l'ombre

une enclume de sang qui n'est ni proie ni ombre se livre

aux marteaux des forges de folie lointaines forges en travail dans les terres les plus

profondes la profondeur solide de l'ombre où le sang de la terre

est enseveli

Un jour

le bruit des siècles n'était plus qu'un faible tintement de cloches

au creux des oreilles d'une femme endormie

sur une plage que le mur immobile de la mer

transformait en préau de prison

Ses cheveux répandus sur le sol et confondus avec son

ombre engendraient un faisceau de racines cône noir qui la

fixait au sable dans l'attente d'une troupe de pirates qui viendraient

la délivrer
Les arbres échangeaient leurs étreintes végétales les cristaux s'accroissaient les étoiles bougeaient mais

terre et ciel air et feu

vous suerez sang et eau avant d'avoir atteint cette merveilleuse figure qui n'est pas seulement rivée au sable d'une plage

par sa chevelure d'ombre mais se cache aussi dans les plis de tous les rideaux les sculptures rompues les pièges rouilles les ossements

dispersés la bave des mousses et des ruisseaux à l'heure où les cadavres font grincer leurs armatures rongées par le contact caché de tant de langues parmi les
craquements d'édifices les échos forestiers et

les cris de chevaux dans les caves de l'amour aux moellons de démence



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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