La plus dolente et malheureuse femme
Qui onc entra en l'amoureuse flamme
De
Cupido, met cette épître en voie,
Et par icelle (ami) salut t'envoie,
Bien connaissant que dépite
Fortune,
Et non pas toi, à présent me infortune;
Car si tristesse avecques dur regret
M'a fait jeter maint gros soupir aigret,
Certes je sais, que d'ennui les alarmes
T'ont fait jeter maintes fois maintes larmes.
O noble cœur, que je voulus choisir
Pour mon amant, ce n'est pas le plaisir
Qu'eûmes alors qu'en la maison royale
Du roi mon père à t'amic loyale
Parlementas, d'elle tout vis-à-vis;
Si te promets que bien m'était avis,
Que tout le bien du monde, et le déduit
N'était que deuil, près du gracieux fruit
D'un des baisers que de toi je reçus.
Mais nos esprits par trop furent déçus,
Quand tout soudain la fatale
Déesse
En deuil mua notre grande liesse,
Qui dura moins que celle de
Dido.
Car tôt après que l'enfant
Cupido
M'eut fait laisser mon père, puissant roi,
Vînmes entrer seulets en désarroi
En un grand bois, où tu me descendis,
Et ton manteau dessus l'herbe étendis,
En me disant : «
Mamic
Maguelonne,
Reposons-nous sur l'herbe qui fleuronne,
Et écoutons du rossignol le chant. »
Ainsi fut fait.
Adonc en arrachant
Fleurs et boutons de beauté très insigne,
Pour te montrer de vraie amour le signe,
Je les jetais de toi à l'environ,
Puis devisant m'assis sur ton giron :
Mais en contant ce qu'avions en pensée,
Sommeil me prit, car j'étais bien lassée.
Finablement m'endormis près de toi,
Dont, contemplant quelque beauté en moi,
Et te sentant en ta liberté franche,
Tu découvris ma poitrine assez blanche,
Dont de mon sein les deux pommes pareilles
Vis à ton gré, et tes lèvres vermeilles
«
Baisèrent lors les miennes à désir.
Sans vilainie, en moi pris ton plaisir,
Plus que ravi, voyant ta douce amie
Entre tes bras doucement endormie.
Là tes beaux yeux ne se pouvaient saouler.
Et si disais (pour plus te consoler)
Semblables mots en gémissante haleine : «
O beau
Paris, je ne crois pas que
Hélène,
Que tu ravis par
Vénus dedans
Grèce,
Eut de beauté autant que ma maîtresse.
Si on le dit, certes ce sont abus. »
Disant ces mots, tu vis bien que
Phébus
Du hâle noir rendait ma couleur teinte,
Dont te levas, et coupas branche mainte,
Que tout autour de moi tu vins étendre
Pour préserver ma face jeune et tendre.
Hélas,
Ami, tu ne savais que faire
A me traiter, obéir et complaire,
Comme celui duquel j'avais le cœur.
Mais cependant, ô gentil belliqueur,
Je dormais fort, et
Fortune veillait :
Pour notre mal, las, elle travaillait.
Car quand je fus de mon repos lassée,
En te cuidant donner une embrassée,
Pour mon las cœur grandement consoler,
En lieu de toi, las, je vins accoler
De mes deux bras la flairante ramée
Qu'autour de moi avais mise et semée,
En te disant : «
Mon gracieux
Ami,
Ai-jc point trop à votre gré dormi ?
N'est-il pas temps, que d'ici je me lève ? »
Ce proférant, un peu je me soulève,
Je cherche et cours, je reviens, et puis vois :
Autour de moi je ne vis que les bois ;
Dont maintes fois t'appelai : «
Pierre,
Pierre,
As-tu le cœur endurci plus que pierre,
De me laisser en cestui bois absconse ? »
Quand de nully n'eus aucune réponse,
Et que ta voix point ne me réconforte,
A terre chus, comme transie ou morte.
Et quand, après, mes langoureux esprits
De leur vigueur furent un peu surpris,
Semblables mots je dis de cœur et bouche :
«
Hélas, ami, de prouesse la souche,
Où es allé ?
Es-tu hors de ton sens,
so
De me livrer la douleur que je sens
En ce bois plein de bêtes inhumaines ?
M'as-tu ôté des plaisances mondaines
Que je prenais en la maison mon père
Pour me laisser en ce cruel repaire ?
Las ! qu'as-tu fait, de t'en partir ainsi ?
Penses-tu bien que puisse vivre ici ?
Que t'ai-je fait, ô cœur lâche et immonde ?
Se tu étais le plus noble du monde,
Ce vilain tour si rudement te blesse,
Qu'ôter te peut le titre de noblesse.
O cœur rempli de fallace et feintise,
O cœur plus dur que n'est la roche bise,
O cœur plus faux qu'oncqucs naquit de mère !
Mais réponds-moi à ma complainte amère.
Me promis-tu en ma chambre parée,
Quand te promis suivre jour et serée,
De me laisser en ce bois en dormant ?
Certes tu es le plus cruel amant
Qui oneques fut, d'ainsi m'avoir fraudée.
Ne suis-je pas la seconde
Médéc?
Certes oui; et à bonne raison
Dire te puis être l'autre
Jason ". »
Disant ces mots, d'un animé courage,
Te vais quérant, comme pleine de rage,
Parmi les bois, sans douter nuls travaux.
Et sur ce point rencontrai nos chevaux
Encor liés, paissant l'herbe nouvelle,
Dont ma douleur renforce et renouvelle :
Car bien connus que de ta voulenté
D'avecqucs moi ne t'étais absenté.
Si commençai, comme de douleur teinte,
Plus que devant faire telle complainte :
«
Or vois-je bien (Ami) et bien appert,
Que maulgré toi en cestui bois désert
Suis demeurée.
O
Fortune indécente,
Ce n'est pas or, ne de l'heure présente,
Que tu te prends à ceux de haute touche,
Et aux loyaux.
Quel rancune te touche ?
Es-tu d'envie entachée et pollue,
Dont notre amour n'a été dissolue?
O cher ami, ô cœur doux et bénin,
Que n'ai-je pris d'Atropos le venin
Avecques toi ?
Voulais-tu que ma vie
Fût encor plus cruellement ravie ?
Je te promets qu'oncques à créature
Il ne survint si piteuse aventure.
Et à tort t'ai nommé, et sans raison,
Le déloyal, qui conquit la toison :
Pardonne-moi, certes je m'en repens.
O fiers lions et venimeux serpents,
Crapauds enflés et toutes autres bêtes,
Courez vers moi, et soyez toutes prêtes
De dévorer ma jeune tendre chair,
Que mon ami n'a pas voulu toucher
Qu'avec honneur. »
Ainsi morne demeure
Par trop crier, et plus noire que meure ,
Sentant mon cœur plus froid que glace ou marbre.
Et de ce pas montai dessus un arbre
A grand labeur.
Lors la vue s'épart
En la forêt : mais en chacune part
Je n'entends que les voix très hideuses
Et hurlements des bêtes dangereuses.
De tous côtés regardais, pour savoir
Si le tien corps pourrais apercevoir :
Mais je ne vis que celui bois sauvage,
La mer profonde et périlleux rivage,
Qui durement fit mon mal empirer.
Là demeurai, non pas sans soupirer,
Toute la nuit : ô
Vierge très hautaine,
Raison y eut, car je suis très certaine
Qu'oncques
Thisbé , qui à la mort s'offrit
Pour
Pyramus, tant de mal ne souffrit.
En évitant que les loups d'aventure
De mon corps tien ne fissent leur pâture,
Toute la nuit je passai sans dormir,
Sur ce grand arbre, où ne fis que gémir.
Et au matin, que la claire
Aurora
En ce bas monde cclairci le jour a,
Me descendis ' , triste, morne et pâlie,
Et nos chevaux en pleurant je délie,
En leur disant : «
Ainsi comme je pense
Que votre maître au loin de ma présence
S'en va errant par le monde en émoi,
C'est bien raison que (comme lui et moi)
Alliez seuicts par bois, plaine, et campagne. »
Adonc rencontre une haute montagne ;
Et de ce lieu, les pèlerins errants
Je pouvais voir, qui tiraient sur les rangs
Du grand chemin de
Rome sainte et digne.
Lors devant moi vis une pèlerine,
A qui donnai mon royal vêtement
Pour le sien pauvre ; et dès lors promptement
La tienne amour si m'incita grand erre
A te chercher en haute mer et terre :
Où maintes fois de ton nom m'enquérais,
Et
Dieu tout bon souvent je requérais,
Que de par toi je fusse rencontrée.
Tant cheminai que vins en la contrée
De
Lombardie, en souci très amer.
Et de ce lieu me jetai sur la mer,
Où le bon vent si bien la nef avance,
Qu'elle aborda au pays de
Provence :
Où mainte gent, en allant, me raconte
De ton départ ; et que ton père, comte
De ce pays, durement s'en contriste.
Ta noble mère en a le cœur si triste
Qu'en désespoir lui conviendra mourir.
Penses-tu point doneques nous secourir?
Veux-tu laisser cette pauvre loyale,
Née de sang et semence royale,
En cette simple et misérable vie?
Laquelle, encor de ton amour ravie,
En attendant de toi aucun rapport,
Un hôpital a bâti sur un port
Dit de saint
Pierre , en bonne souvenance
De ton haut nom ; et là prend sa plaisance
A gouverner, à l'honneur du haut
Dieu,
Pauvres errants malades en ce lieu :
Où j'ai bâti ces miens tristes écrits,
En amertume, en pleurs, larmes et cris,
Comme peux voir qu'ils sont faits et tissus.
Et si bien vois la main dont sont issus,
Ingrat seras, si en cet hôpital
Celle qui t'a donné son cœur total
Tu ne viens voir; car
Virginité pure
Te gardera, sans aucune rompure :
Et de mon corps seras seul jouissant.
Mais s'ainsi n'est, mon âge florissant
Consumerai sans joie singulière
En pauvreté, comme une
Hospitalière.
Doneques (ami) viens-moi voir, de ta grâce.
Car tiens-toi sûr qu'en cette pauvre place
Je me tiendrai, attendant des nouvelles
De toi qui tant mes regrets renouvelles '.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012