Poèmes

Ode Xxx

par Victor Segalen

Si jamais je veux être
Lama ?

— (Lama
Jaune,
Lama
Rouge,
Lama
Rouge ou
Jaune ?

Lama
Jaune) —

L'un et l'autre chapeau se porte bien.

Ces deux couleurs sont vraiment lamaïques.

L'une et l'autre détient tous les
Biens :

Soit dans le monde aux esprits diaboliques,

Ou simplement : des hommes politiques.

L'une et l'autre, opposées, se prête parfois les pouvoirs

Toutes les deux dansent, dansent
Sur le dos des vieux
Lamas
Noirs.
Il est bon de sauter en cadence ;
Plutôt que prier en paix un très quelconque
Brahma

Si jamais je dois être
Lama.

Lama
Jaune,
Lama
Rouge,
Lama
Jaune ou bien :
Lama
Rouge ?

Ce rubicond se prétend le plus ancien

Des deux chapeaux reçus parmi les nôtres.

C'est un mage ambulant et métaphysicien

Qui le coiffa, doré de patenôtres.

En sa séquelle il faut que je me vautre.

N'espérant guère échapper à
Tout-Son-Omni-Savoir :

Car il prêche, prêche, prêche
Sur les bords du
Mansarovoâr.
Impossible, — hélas — que j'empêche

Sur mes lèvres son nom sempiternel «
Crand
Saint
Padma... ! »

Si jamais je deviens
Son
Lama !

Rouge ?
Non.
Jaune ou
Rouge ?
Revenons au
Jaune :
Lama
Jaune !

Le prébende, le seul et spirituel.

C'est en lui que je cherche mes oracles :

Car c'est de lui que naît le
Pape actuel.

Je verrai donc cet étonnant miracle,


Rome et
Lhassa dans le même spectacle ! ! ! —

Les véridiques
Eglises échangeant leurs avoirs...

Toutes les deux sonnent, sonnent
Par les nues aux plus hauts espoirs.
Inutile ici que j'entonne
Le même chant au chemin — même chemin — de
Damas

Si jamais je deviens
Un
Lama.

(Lama
Jaune,
Lama
Rouge, —
Rouge,
Jaune... ou
Noir?)

Me voici pris au piège nécromant.

Jongleur de tes morts, amant de tes gouges,

Vampire érudit me réclamant

Du médecin dans ses pratiques rouges :

Me fourvoyant aux plus immondes bouges.

L'un à l'autre, prêtres-attestés, se dénigrent tout avoir

Mais tous les deux sautent, sautent
Sur la vie à grand désespoir.
Il me faut donc partager la ribote,
Me revêtir d'un très magistral et macabre eczéma

Si — horreur —
Je devenais ce
Lama !

(Lama vert.
Lama bleu,
Lama gris ou même :)

Grand
Lama revêtu du vernis souverain !
A l'habit l'on connaît trop bien l'imposture.

Qu'un autre danse à ces tréteaux forains !
Que l'homme s'ouvre à toute la nature.
Exhibant vers là-haut sa flèche impure.
On n'entre point au
DjoKang de mes yeux.

Que tous les dieux baisent, baisent
Sur la terre, au plus bas des cieux.
Qu'ils pénètrent tout à leur grand aise :
Honnis le secret de mon cœur, ni ce qu'il aima.

Même si je devenais
Lama.



Poème publié et mis à jour le: 16 November 2012

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