J'avais quatre ans, peut être cinq, qui sait ? Je n'en ai plus souvenance. Ce jour là, tout le monde se réveilla de bonne heure et chacun se chargea d'une besogne particulière. J'assistais à ce branle-bas avec autant de stupeur qu'un poussin, à peine sorti de sa coquille, chercherait sa mère. Quand... -<< Ôte toi de mon chemin, petit imprudent >>.Héla ma soeur encombrée par une large bassine d'eau qu'elle portait péniblement. Je m'effaçais prudemment pour la laisser passer. -<< Pourquoi tout ça ?>> Osais-je demander. En ces temps lointains, je faisais l'apprentissage de mon environnement et je posais plein de questions si bien que les miens me baptisèrent " SI ÂALACH " ( Monsieur pourquoi ). Alors Fatima, ma soeur, prit la peine de poser ce qu'elle avait en main, me fixa et devint tout à coup sérieuse : -<< Aujourd'hui c'est la grande fête de l'Aïd El Kébir, la cérémonie du sacrifice >>.Et, en faisant passer son index plusieurs fois sous sa gorge, ajoutant, l'air démon, : -<< On va faire "coukh" au mouton >> Sur ce, elle s'éloigna me laissant encore plus curieux qu'elle ne m'avait trouvé. Je faisais des efforts colossaux pour essayer de décrypter sa mimique. Or, ne voilà-t-il pas qu'un grossier individu fit son apparition, ajoutant son mystère à la balance de mes soucis. Il n'était pas très grand, avec des sourcils épais, des membres courts et forts et un ventre qui pendait pardessus une ceinture en cuir. Il avait en bandoulière des gadgets équivoques dont un long couteau et une hache. << C'est le boucher >> me chuchota Fatima, toute excitée. On conduisit l'intrus en présence du bélier qu'il soupesât nonchalamment et lui fit avaler de force du sel et du cumin. La pauvre bête était ahurie. Elle promenait ses yeux hagards sur tous les regards présents. J'étais moi même pris de panique. Qu'allait-il se passer ? Des mains perfides s'emparèrent de celui qui fût pendant deux semaines mon compagnon de jeu. J'avais fini par gagner sa confiance car il me laissait toucher ses cornes et manger de ma main. L'espace d'un instant, il était par terre, solidement retenu au sol. Un silence de prière régna. À peine avais-je entraperçu l'éclat de la lame que les youyous de ma mère brisèrent le silence. Je vis un liquide pourpre et mousseux couler sans arrêt et je devinai, instinctivement que "Massoud"( je l'appelais ainsi en intimité ), n'était plus. Des larmes coulèrent de mes yeux qui cherchaient à comprendre. Alors ma soeur, ayant compris mon désarroi, me tapota la tête et me dit : -<< Ne t'inquiète pas pour lui, il est maintenant entrain de paître, libre et heureux, dans les célestes prairies avec tous ceux qui l'ont précédé >> Naturellement, ma curiosité en fût aiguisée. Impatient et ravi, j'essuyais mes larmes et voulut parler mais elle m'interrompit : -<< Et ne m'en demande pas plus pour l'instant, j'ai beaucoup à faire en ce moment. À plus tard >>.
Mouton et souvenirs d'enfance.
par Hamid Ouked
Extrait de:
{ "Mémoires d'un apprenti-homme"; 22 Juin 1991 }