Les Milliers de Dieux, Henri Michaux
Poèmes

Les Milliers de Dieux

par Henri Michaux

Henri Michaux

L'incroyable, le désiré désespérément depuis l'enfance, l'exclu apparemment que je pensais que moi je ne verrais jamais, l'inouï, l'inaccessible, le trop beau, le
sublime interdit à moi, est arrivé.

j'ai vu les milliers de dieux.
J'ai reçu le cadeau émerveillant.
A moi sans foi (sans savoir la foi que je pouvais avoir peut-être), ils sont apparus.
Ils étaient là, présents, plus présents que n'importe quoi que j'aie jamais regardé.
Et c'était impossible et je le savais et pourtant.
Pourtant ils étaient là, rangés par centaines les uns à côté des autres (mais des milliers à peine perceptibles suivaient et bien plus que des milliers, une
infinité).
Elles étaient là ces personnes calmes, nobles, suspendues en l'air par une lévitation qui paraissait naturelle, très légèrement mobiles ou plutôt animées
sur place.
Elles, ces personnes divines, et moi, seuls en présence.

Dans quelque chose comme de la reconnaissance, j'étais à elles.

Mais enfin, me dira-t-on, qu'est-ce que je croyais?
Je réponds :
Qu'avais-je à faire de croire, puisqu'ils étaient là!
Pourquoi serais-je entré en discussion alors que j'étais comblé?
Ils ne se trouvaient pas à une grande hauteur, mais à la hauteur qu'il faut pour, tout en se laissant voir, garder les distances, pour être respectés par le témoin de
leur gloire qui reconnaît leur supériorité sans comparaison.
Ils étaient naturels, comme est naturel le soleil dans le ciel.
Je ne bougeais pas.
Je n'avais pas à m'incliner.
Ils étaient suffisamment par-dessus moi.
C'était réel et c'était comme chose entendue entre nous, en vertu d'une entente préexistante.
J'étais rempli d'eux.
J'avais cessé d'être mal rempli.
Tout était parfait.
Il n'y avait plus ni à réfléchir, ni à soupeser, ni a critiquer.
Il n'y avait plus à comparer.
Mon horizontale était maintenant une verticale.
J'existais en hauteur.
Je n'avais pas vécu en vain.

La différence avec tous les événements précédents était mon total et heureux acquiescement.
Je n'avais pas d'attention pour autre chose.
Je me donnais autant que je voyais.
Dans ce don était ma joie...



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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