Sur le printemps, que la belle
Flora
Les champs couverts de diverse flour a,
Et son ami
Zéphyrus les évente,
Quand doucement en l'air soupire et vente,
Ce jeune enfant
Cupido, dieu d'aimer,
Ses yeux bandés commanda défermer,
Pour contempler de son trône céleste
Tous les amants, qu'il atteint et moleste.
Adonc il vit autour de ses charrois
D'un seul regard maints victorieux rois,
Hauts empereurs, princesses magnifiques,
Laides et laids, visages déifiques,
Filles et fils en la fleur de jeunesse,
Et les plus forts sujets à sa hautesse.
Bref il connut que toute nation
Ployait sous lui, comme au vent le scion.
Et qui plus est, les plus souverains dieux
Vit trébucher sous ses dards furieux.
Mais ainsi est, que ce cruel enfant,
Me voyant lors en âge triomphant
Et m'éjouir entre tous ses soudards,
Sans point sentir la force de ses dards,
Voyant aussi qu'en mes œuvres et dits
J'allais blâmant d'amours tous les édits,
Délibéra d'un assaut amoureux
Rendre mon cœur (pour une) langoureux.
Pas n'y faillit.
Car par trop ardente ire
Hors de sa trousse une sagette tire
De bois mortel, empenné de vengeance,
Portant un fer forgé par déplaisance
Au feu ardent de rigoureux refus,
Laquelle lors (pour me rendre confus)
Il déchargea sur mon cœur rudement.
Qui lors connut mon extrême tourment,
Bien eût le cœur rempli d'inimitié,
Si ma douleur ne l'eût mû à pitié.
Car d'aucun bien je ne fus secouru
De celle-là, pour qui j'étais féru :
Mais tout ainsi que le doux vent
Zéphyre
Ne pourrait pas fendre marbre ou porphyre,
Semblablement mes soupirs et mes cris,
Mon doux parler et mes humbles écrits,
N'eurent pouvoir d'amollir le sien cœur,
Qui contre moi lors demeura vainqueur.
Dont connaissant ma cruelle
Maîtresse
Etre trop forte et fière forteresse
Pour chevalier si faible que j'étais :
Voyant aussi que l'amour, où jetais
Le mien regard , portait douleur mortelle,
Délibérai si fort m'éloigner d'elle
Que sa beauté je mettrais en oubli.
Car qui d'amour ne veut prendre le pli,
Et a désir de fuir le danger
De son ardeur, pour tel mal étranger,
Besoin lui est d'éloigner la personne
A qui son cœur énamouré se donne.
Si fis dès lors (pour plus être certain
De l'oublier) un voyage lointain :
Car j'entrepris, sous espoir de liesse,
D'aller chercher une haute déesse,
Que
Jupiter de ses divines places
Jadis transmit en ces régions basses
Pour gouverner les esperits loyaux
Et résider es domaines royaux.
C'est
Ferme
Amour, la
Dame pure et monde,
Qui, longtemps a, ne fut vue en ce monde.
Sa grand bonté me fit aller grand erre
Pour la chercher en haute mer et terre,
Ainsi que fait un
Chevalier errant
Et tant allai celle dame quérant,
Que, peu de temps après ma départie,
J'ai circuit du monde grand partie,
Où je trouvai gens de divers regard,
A qui je dis : «
Seigneurs, si
Dieu vous gard,
En cette terre avez-vous point connu
Une, pour qui je suis ici venu ?
La fleur des fleurs, la chaste colombelle,
Fille de paix, du monde la plus belle,
Qui
Ferme
Amour s'appelle ?
Hélas, seigneurs,
Si la savez, soyez-m'en enseigneurs. »
Lors l'un se tait, qui me fantasia.
L'autre me dit : «
Mille ans, ou plus, y a,
Que d'amour ferme en ce lieu ne souvint. »
L'autre me dit : «
Jamais ici ne vint. »
Dont tout soudain me pris à dépiter :
Car je pensais que le haut
Jupiter
L'eût de la terre en son trône ravie.
Ce néanmoins, ma pensée assouvie
De ce ne fut.
Toujours me préparai
De poursuivir.
Et si délibérai,
Pour rencontrer celle dame pudique,
De m'en aller au temple cupidique
En m'ébattant : car j'eus en espérance
Que là-dedans faisait se demeurance.
Ainsi je pars : pour aller me prépare
Par un matin, lorsqu'Aurora sépare
D'avec le jour la ténébreuse nuit,
Qui aux dévots pèlerins toujours nuit.
Le droit chemin assez bien je trouvois :
Car çà et là, pour adresser la voie l
Du lieu dévot, les passants pèlerins
Allaient semant roses et romarins,
Faisant de fleurs mainte belle montjoie,
Qui me donna aucun espoir de joie.
Et d'autre part rencontrai, sur les rangs
Du grand chemin, maints pèlerins errants
En soupirant, disant leur aventure
Touchant le fruit d'amoureuse pâture :
Ce qui garda de tant me soucier,
Car de leur gré vinrent m'associer
Jusques à tant que d'entrer je fus prêt
Dedans ce temple, où le
Dieu d'amour est
Feint à plusieurs, et aux autres loyal.
Or est ainsi, que son temple royal
Suscita lors mes ennuyés esprits.
Car environ de ce divin pourpris
Y soupirait le doux vent
Zéphyrus,
Et y chantait le gaillard
Tityrus ".
Le grand dieu
Pan avec ses pastoureaux
Gardant brebis, bccufs, vaches et taureaux,
Faisait sonner chalumeaux, cornemuses
Et flageolets pour éveiller les
Muses,
Nymphes des bois et déesses hautaines,
Suivant jardins, bois, fleuves et fontaines.
Les oiselets par grand joie et déduit
De leurs gosiers répondent à tel bruit.
Tous arbres sont en ce lieu verdoyants ;
Petits ruisseaux y furent ondoyants,
Toujours faisant autour des prés herbus
Un doux murmure .
Et quand le clair
Phébus
Avait droit là ses beaux rayons épars,
Telle splendeur rendait de toutes parts
Ce lieu divin, qu'aux humains bien semblait
Que terre au ciel de beauté ressemblait :
Si que le cœur me dit par prévidence
Celui manoir être la résidence
De
Ferme
Amour, que je quérais alors.
Parquoi voyant de ce lieu le dehors
Etre si beau, espoir m'admonesta
De poursuivir, et mon corps transporta
(Pour rencontrer ce que mon cœur poursuit)
Près de ce lieu bâti comme s'ensuit :
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012