Poèmes

Le Rêve

par Émile Despax

Émile Despax

Comme un étang, comme un miroir, mon âme est lisse.
Le grand jour n'y vit pas, n'y meurt pas ; il y glisse.
Comme un étang, comme un miroir qui se complaît
A ne jouer que de reflets. Et ces reflets
En sont la caressante et paresseuse vie.
De l'ombre d'un désir mon âme est assouvie,
Mais le rêve s'attarde en elle doucement
Et, doucement, s'en va, sans un déchirement.
Or, quelquefois, le rêve est profond et si trouble
Que je sens que mon âme, en flottant, s'y dédouble ;
— Reste de jour dans un crépuscule argenté. —
Ainsi, quand Rodenbach souffrait, les soirs d'été,
Et regardait, au fond des glaces, son image,
Il devait se sentir parti, pour un voyage
Lointain, au cours duquel tout à coup lui manquait
Comme un autre lui-même oublié sur le quai.
Il semble encor, parfois, que dans l'ombre se meure
Cet autre moi qui fuit hors de moi, d'heure en heure,
Et, comme le bizarre et lointain voyageur,
Moi-même, je me meurs soudain. Comme un plongeur
S'oublie et sent, soudain, son coeur battre avec peine
Et, se dressant dans l'eau sinistre, épouvanté,
Fou, nage à bras déments, debout, vers la clarté,
Mon âme tout à coup s'éveillant, angoissée,
Rappelle, en s'affolant, sa vie et sa pensée.
Pourtant, mêlant son charme au charme de l'azur,
Il vient à moi si bleu, si léger et si pur,
Quand, pour me pénétrer, il semble qu'il ne touche
Ni l'ombre de mes cils ni l'ombre de ma bouche,
Que je rouvre, toujours, à ce rêve, mon coeur.

Eternelle faiblesse. Eternelle douceur.

Extrait de: 
La Maison des Glycines, (1905)



Poème publié et mis à jour le: 14 February 2023

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