Poèmes

Le Prophète

par Rene Daumal

L'enfant qui parlait au nom du soleil allait par les rues du village mort, les rats couraient vers ses pieds nus lorsqu'il s'arrêtait aux carrefours.

L'enfant appela d'une voix pleine de galères, de voiles blanches et de poissons volants, et les hommes changés en pierre s'éveillèrent en grinçant

C'était l'aube annoncée par les flèches sifflantes des joyeux archers du voisinage, les hommes venaient, chacun portant sa nuit comme on porte une ombrelle.

Ils s'accroupirent autour de l'enfant, et leurs gros yeux rouges riaient, et leurs larges bouches crachaient du sable à travers les dents.

L'enfant qui parlait au nom du soleil dit: «N'écoutez plus le chant du coq stupide», et les hommes aux longues lèvres se tapaient le derrière sur les pavés.

L'enfant dit: «Vous riez, vous riez, mais lorsque vous vous éveillerez avec du sang plein les oreilles, alors, vous ne rirez plus. »

Sa tête tomba, écrasante et chaude sur l'épaule d'une jeune femme ; elle crut qu'il voulait l'embrasser et se mit à rire d'effroi.

«Vous riez, vous riez, lui dit-il,

— et les vieux montraient leurs crocs jaunes —

votre rire n'est pas l'aumône

que réclame la
Gueule céleste.

Il lui faut vos nourrissons, vos nez fraîchement coupés,
Il lui faut une moisson d'orteils pour son souper.

Elle rit, elle rit, la grande
Gueule,

elle brille, elle grésille,

vous riez, vous riez, épouvantable aïeule,

mais bientôt, grand-mère, vos fils et vos filles

ne riront plus, ne riront plus.

Vous riez sous vos parasols de nuit,

ils vont craquer, ils vont craquer,

entendez rire la grande
Gueule,

car bientôt vous ne rirez plus. »



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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