Tout le grand ciel de neige se déchire
L'hiver cède et la terre craque et les ruisseaux
Charrient les glaces et les boues
Que se passe-
t-il
Sur les routes un bruit de roues
Tout cet affairement
y
semble une menace
Cette année à la dérive il s'en va de tout par les rivières
Rêves hantises misères tortures nuits nuits servitudes
Au loin s'entend venir le grondement profond du printemps
Et les hommes en haillons dans le froid blême
Pour la première fois sentent monter en eux la sève espoir
À voir
Trembler les sentinelles
Parler entre eux
Les hommes verts
Je ne connais pas ce pays
Je ne l'ai jamais vu que du haut des nuages
Comme un jeu sous l'avion tournant de crêtes de pentes de villages
J'ai de la peine à m'imaginer le paysage
Mais toi
Pierre je te vois parmi les pierres
Tes cheveux noirs tes yeux ta barbe poussée
Toujours le même avec ce petit hochement de tête
Et ce qu'on t'a fait subir n'y change rien
Toi
Pierre enfant qui partageas le pain de nos folies
Toi
Pierre entre les illusions et les devoirs
Qui m'interrogeais pesant le pour et le contre
Et soudain le poids du peuple t'emporta du côté de l'avenir
Toi
Pierre mon compagnon de la plus difficile minute
Celle où nous avons choisi pour toujours entre les autres et nous
Je te vois dans les montagnes de
Slovaquie À la dernière heure par les torrents entraîné
Marchant dans la dernière neige ayant laissé
Derrière toi les barbelés du
Stalag et les feux des miradors
Dans les montagnes de
Slovaquie
Où tout n'est pas que ce folklore
Au loin s'entend venir le grondement profond du printemps
Toi
Pierre avec ce petit hochement de tête Évadé du
Stalag à demi nu dans la neige à la charnière des monts
A la charnière de l'histoire
Le contre et le pour pesés
Le poids de l'avenir t'emporte
Toi
Pierre et sur cette pierre
Se bâtira l'avenir
Car tu sais bien dans le détour des vallées
Les forêts de sapins les congères les sources
Que ce qui se débat ce n'est plus comme en 1930
Ce qui nous rattachait à
Nerval à
Rimbaud
Toi
Pierre sur ce palier de pierres
Et le grondement profond du printemps s'approche dans l'écho des roches
Combien les pieds en sang le cœur battant à ce repli des temps se cachent
Es-tu seul as-tu près de toi d'autres visages
D'autres hommes de chair semblables et différents
Ces camarades non choisis ces hasards vivants de l'histoire
Hommes d'ailleurs et n'importe où hommes de sang et de sueur
Toi
Pierre sur ce palier de pierres
Qu'attends-tu quel horizon quel bouleversement quelle
Subversion du désordre ancien
Quel bruit de piques et de lances tombant
Au matin du
Sépulcre où ce jeune homme encore entouré de bandelettes
Regarde autour de lui la merveille de vivre
Et tes compagnons l'un s'est assis
Qui dans ces mains tient son pied meurtri
Qui halète
Vous scrutez l'aube et l'avenir
Vous scrutez la brume au lointain
Prêts à payer d'un prix sans mesure le simple égarement
D'une patrouille de
SS avec ses chiens
Par les forêts les cimes les gorges
Hoch hoch
Hierher
Wozu
Schmutzige verdammte
Tiere
Hast du
Willi etwas geseh'n
Ruhe ruhe du
Hund
O
Tannenbaum
Gibt kein
Tannenbaum
Verrùckter
Kerl
Kein
Tannenbaum hier zu singen
Prêts à payer
Ayant choisi
Entre vous-mêmes et les autres
Entre la vie et l'avenir
On n'a jamais retrouvé dans ce pays des monts
Les combattants de la dernière heure quand
Enfin le printemps de l'Armée rouge est arrivé ô débâcle des chars ô galop des chevaux
Cascade des caissons
Comme un vaste coup d'épongé à travers la mappemonde
Adieu vous tous adieu mon ami perdu dans les éboulis d'Europe
Pierre mon
Pierre adieu qui donnas sans compter ta musique et ton chant
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012