Le sol était jonché d'une automne craquante ;
Et je faisais, au fond des bois où je fréquente,
Mon petit tour contemplatif.
Les buissons roux étaient comme un cercle de faunes.
Soudain, il me sembla, parmi les arbres jaunes,
Que je voyais jaunir un if.
« Eh quoi ! vous, l'arbre vert, toujours vert », m'étonnai-je
« Vous dont le vert profond reste noir sous la neige.
Vous, l'If, de ce jaune honteux ? »
Mais, semblant désigner d'un mouvement de branche
Les arbres dont sur lui tout l'octobre se penche,
L'If me répondit : « Ce sont, eux…
« Eux qui, supportant mal mes insolences vertes,
Des feuilles qu'ils perdaient ont mes branches couvertes.
Ces feuilles, innombrablement,
Se sont, comme des mains rageuses et crispées,
A tous mes verts piquants si jaunes agrippées,
Qu'on me croira jaune, un moment ! »
« — Quoi ! d'autres t'ont jeté ces feuilles que tu portes ? »
Il reprit : « L'arbre mort jette des feuilles mortes !
Homme, ceci vous étonna ?
Agit-on dans vos bois autrement qu'en les nôtres ?
On prend toujours sur soi ce que l'on jette aux autres.
On ne prête que ce qu'on a.
« Il faut à son prochain que l'on prête, sans cesse,
Flétri, sa flétrissure, et, sec, sa sécheresse,
Et, mort, qu'on lui prête sa mort.
Quand nous différons d'eux, les arbres et les hommes
Veulent, de ce qu'ils sont couvrant ce que nous sommes,
Nous étouffer comme un remord !
« Sachez-le, puisqu'il faut qu'un arbre vous éduque :
La feuille persistante à la feuille caduque
Ne devrait pas se laisser voir.
N'est-il pas naturel que, voyant ma verdure,
Ces arbres aient trouvé, pour cacher que je dure,
De se laisser sur moi pleuvoir ?
« Ah ! quand ils souffrent trop, les tilleuls et les chênes,
De ne laisser tomber sur les mousses prochaines
Que tous ces tristes haillons bruns,
Que ces maigres chiffons dont l'horreur tourne et vole,
Ils peuvent bien, mon Dieu ! si cela les console,
M'en attribuer quelques-uns !
« Le vent n'aura besoin que d'une chiquenaude
Pour faire s'écrouler tout ce qui s'échafaude
Fallacieusement sur moi.
Je serai nettoyé par quelques brises fraîches.
Car ces feuilles ne sont que de pauvres, de sèches…
Que dis-tu ? Calme ton émoi !
« Voilà bien les grands mots des hommes : calomnies ?
Feuilles mortes, tout simplement ! feuilles jaunies !
En suis-je moins vert là-dessous ?
L'indulgence est facile aux arbres qui demeurent,
Et nous pouvons laisser à des arbres qui meurent
Le plaisir de mourir sur nous ! »
Poème publié et mis à jour le: 05 August 2022