Poèmes

Femme et Chatte

par Paul Verlaine

Paul Verlaine

Femme et Chatte est le 1er poème sur 5 de la section Caprices des Poèmes saturniens publié en 1866. Verlaine ne fut pas le seul à s'intéresser à l'histoire de Cléopâtre, cette reine d'Égypte à la beauté et à l'intelligence extraordinaire et qui se suicida dans sa fuite avec Antoine après avoir été renversée de son trône par Octave. Verlaine reprendra deux poèmes plus loin le même thème dans Une grande Dame dans lequel Cléopâtre belle à damner les saints est qualifiée de lynche probablement en raison de sa clairvoyance. Verlaine parle de la chatte Ninon. Dans ce sonnet irrégulier d'octosyllabes, deux quatrains à rimes croisées suivis de deux tercets fusionnés, Verlaine se montre particulièrement violent envers les femmes, des fleurs du mal séduisantes, exigeantes en amour, cruelles, armées d'ongles meurtriers, perverses. Une attitude ambiguë, choquante faite de désirs inassouvis, de fantasmes et de violence qui atteindra son paroxysme dans une grande dame avec l'invective brutale qu'on lui cravache la face, à cette femme. Toute l'argumentation envers la féminité se traduit par l'opposition entre le noir et le blanc réunies cependant à la fin dans une sorte de lumière commune étincelante, le phosphore.

Elle cachait, La Scélérate, au début du second quatrain donne le ton, la femme est coupable de crimes qu'elles a commis ou qu'elle avait seulement l'intention de commettre, la femme serait perfide, elle aurait une fâcheuse tendance à manquer à sa parole, à mentir pour parvenir à ses foins. Verlaine n'a pas confiance dans les femmes, elles mentent. Sous l'apparence d'un jeu bien innocent, plein de tendresse et d'amour entre une femme et un chat, Verlaine à travers le personnage de Cléopâtre, reine intrigante, capable de toutes les ruses pour se maintenir sur son trône convoité par son frère nous dresse un tableau général sassez sombre du comportement féminin. Sous les mitaines de fil noir, des attributs d'élégance réservés aux reines ou à la la bourgeoisie, empreints de beauté, et de douceur, se cachent des ongles meurtriers. On appréciera l'ironie dans la phrase car les mitaines laissent généralement découvertes les dernières phalanges avec les ongles,et ne les cachent donc pas. Ces ongles très dur, d'agate, deviennent des griffes, des artifices meurtriers, coupant comme des lames d'un rasoir. Il y a un parallélisme constant, une opposition entre le chat, un animal familier qui se laisse caresser par plaisir et la femme ici assimilée à un lynx, un animal plus gros et sauvage avec des instincts criminels.

Verlaine rêve d'une femme idéale, une consolatrice capable de combler le manque existentiel dont il a pris conscience. La femme qu'il imagine, qu'il idéalise, ce rêve familier évoque un monde idéal qui l'habite mais dont il connaît l'irréalité, d'on son immense frustration. Il y a sans doute beaucoup de la provocation d'un jeune débutant en poésie d'utiliser la veine rebattue de la misogynie cherchant par cette différence à choquer le lecteur, à l'apostropher. Il y a cependant chez Verlaine, poète hirsute et mal habillé, envers les "femmes jolies" une jalousie, une haine même que l'on constate dès le début du recueil. Il voit dans la beauté de la femme, de la froideur et une distanciation, une inaccessibilité. La pureté, la blancheur qui se retrouvent dans la main de la femme et dans la patte du chat est devenue noire avec le gant. Pour Verlaine, l'amour c'est d'abord l'instinct, le désir brutal, qu'entraîne l'envoûtement de la beauté. Chez notre poète l'amour est nostalgie parce que, maladroit, informulé et frustrant. On retrouve dans ce poème la même présentation de la femme que chez Baudelaire dans les fleurs du Mal, la femme lascive, ici caressant son chat, objet de plaisir mais aussi une menace, c'est une scélérate pour le poète, et un danger. A l'inverse d'un poète comme Eluard qui encense la femme, muse lumineuse, on a ici l'image d'une femme diabolique, intrigante qui complote pour assouvir ses passions, qui calcule. Mais toutes les femmes ne sont pas des Cléopâtre et n'ont pas d'arrière-pensées funestes pour assurer leur pouvoir. La fin du poème nous éclaire que dans les boudoirs, ces pièces intimes des habitations, le diable n'est jamais très loin, dans l'obscurité son œil pétille de satisfaction comme celui du chat brille dans la nuit, quatre points de phosphore.



Elle jouait avec sa chatte,
Et c’était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S’ébattre dans l’ombre du soir.

Elle cachait – la scélérate ! –
Sous ces mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d’agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.

L’autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n’y perdait rien…
Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien,
Brillaient quatre points de phosphore.

Extrait de: 
Poèmes Saturniens



Poème publié et mis à jour le: 19 July 2021

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