Poèmes

Description du Temple de Cupido

par Clément Marot

Ce temple était un clos flori verger,
Passant en tout le val délicieux

Auquel jadis
Paris ', jeune
Berger,
Pria d'amour
Pégasis aux beaux yeux :
Car bien semblait que du plus haut des
Cieux
Jupiter fût venu au mortel estre
Pour le construire et le faire tel estre,

Tant reluisait en exquise beauté.

Bref, on l'eût pris pour
Paradis terrestre,
S'Ève et
Adam dedans eussent été.

Pour ses armes
Amour cuisant
Porte de gueules ,s à deux traits :

Dont l'un, ferré d'or très luisant,

Cause les amoureux attraits ;
L'autre, dangereux plus que très,
Porte un fer de plomb mal couché,
Par la pointe tout rebouché,

Et rend l'amour des cœurs éteinte

De l'un fut
Apollo touché :
De l'autre
Daphné fut atteinte.

Pour ses armes
Amour cuisant
Porte de gueules ,s à deux traits :

Dont l'un, ferré d'or très luisant,

Cause les amoureux attraits ;
L'autre, dangereux plus que très,
Porte un fer de plomb mal couché,
Par la pointe tout rebouché,

Et rend l'amour des cœurs éteinte

De l'un fut
Apollo touché :
De l'autre
Daphné fut atteinte.

Sitôt que j'eus l'écusson limité,
Levai les yeux, et proprement je vis,

Du grand portail sur la sublimité,
Le corps tout nu et le gracieux vis
De
Cupidol : lequel pour son devis
Au poing tenait un arc riche tendu,
Le pied marché, et le bras étendu,

Prêt de lâcher une flèche aiguisée
Sur le premier, fût fol ou entendu,
Droit sur le cœur, et sans prendre visée

La beauté partant du dehors
De celle maison amoureuse

D'entrer dedans m'incita lors,

Pour voir chose plus somptueuse :
Si vins de pensée joyeuse
Vers
Bel
Accueil le bien appris,
Qui de sa main dextre m'a pris,

Et par un fort étroit sentier

Me fit entrer au beau pourpris
Dont il était premier portier.

Le premier huis de toutes fleurs vermeilles Était construit, et de boutons issants,

Signifiant que joies non pareilles
Sont à jamais en ce lieu florissant.
Celui chemin tinrent plusieurs passants,
Car
Bel
Accueil en gardait la barrière :
Mais
Faux
Danger ° gardait sur le derrière

Un portail fait d'épines et chardons,
Et déchassait les pèlerins arrière,
Quand ils venaient pour gagner les pardons.

Bel
Accueil, ayant robe verte,

Portier du jardin précieux,
Jour et nuit laisse porte ouverte

Aux vrais amants et gracieux,

Et d'un vouloir solacieux

Les retire sous sa bannière,

En chassant sans grâce plénière (Ainsi comme il est de raison)

Tous ceux qui sont de la manière

Du faux et déloyal
Jason .

Le grand autel est une haute roche,
De tel vertu que, si aucun amant

La veut fuir, de plus près s'en approche,
Comme l'acier de la pierre d'aimant.
Le ciel, ou poêle, est un cèdre cmbasmant
Les cœurs humains, duquel la largeur grande
Couvre l'autel.
Et là (pour toute offrande)

Corps, cœur et biens à
Vénus faut livrer.
Le corps la sert, le cœur grâce demande,
Et les biens font grâce au cœur délivrer.

De
Cupido le diadème
Est de roses un chapelet,
Que
Vénus cueillit elle-même

Dedans son jardin verdelet.
Et sur le printemps nouvelct,

Le transmit à son cher
Enfant,
Qui de bon cœur le va coiffant.
Puis donna (pour ses roses belles)

A sa mère un char triomphant,
Conduit par douze colombelles.

Devant l'autel deux cyprès singuliers
Je vis florir sous odeur embasmée :

Et me dit-on que c'étaient les piliers
Du grand autel de haute
Renommée.
Lors mille oiseaux d'une longue ramée
Vinrent voler sur ces vertes courtines,
Prêts de chanter chansonnettes divines.

Si demandai : «
Pourquoi là sont venus ? »
Mais on me dit : «
Ami, ce sont matines
Qu'ils viennent dire en l'honneur de
Vénus. »

Devant l'image
Cupido
Brûlait le brandon de détresse,

Dont fut enflammée
Dido ,

Byblis, et
Hélène de
Grèce.
Jehan de
Mehun a plein de grand sagesse,
L'appelle (en termes savoureux)
Brandon de
Vénus rigoureux,

Qui son ardeur jamais n'attrempe.

Toutefois au temple amoureux (Pour lors) il servait d'une lampe.

Saintes et
Saints qu'on y va réclamer,
C'est
Beau
Parler,
Bien
Celer,
Bon
Rapport,

Grâce,
Merci,
Bien
Servir,
Bien
Aimer,
Qui les amants font venir à bon port.
D'autres aussi, où (pour avoir support,
Touchant le fait d'amoureuses conquêtes)
Tous pèlerins doivent faire requêtes,

Offrandes, vœux, prières, et clamours :

Car sans ceux-là l'on ne prend point les bêtes
Qu'on va chassant en la forêt d'amours.

Chandelles flambant ou éteintes

Que tous amoureux pèlerins
Portent devant tels saints et saintes,

Ce sont bouquets de romarins ;

Les
Chantres : linots et serins,

Et rossignols au gai courage,

Qui sur buissons de vert bocage,
Ou branches en lieu de pupitres,

Chantent le joli chant ramage

Pour versets, répons et épîtres.

Les vitres sont de clair et fin cristal,
Où peintes sont les gestes authentiques

De ceux qui ont jadis de cœur loyal
Bien observé d'amour les lois antiques.
En après sont les très saintes reliques,
Carcans, anneaux aux secrets tabernacles,
Ecus, ducats dedans les clos obstacles,

Grands chaînes d'or, dont maint beau corps est
Qui en amours font trop plus de miracles [ceint,
Que
Beau
Parler, ce très glorieux
Saint.

Les voûtes furent à merveilles

Ouvrées souverainement :
Car
Priapus les fit de treilles

De feuilles de vigne et sarment.

Là dépendent tant seulement

Bourgeons et raisins à plaisance,

Et pour en planter abondance
Bien souvent y entre
Bacchus,

A qui
Amour donne puissance

De mettre guerre entre bas culs.

Les cloches sont tambourins et doucines,
Harpes et lues, instruments gracieux,

Hautbois, flageots, trompettes et buccines,
Rendant un son si très solacieux
Qu'il n'est soudard, tant soit audacieux,
Qu'il ne quittât lances et braquemards,
Et ne saillît hors du temple de
Mars,

Pour être moine au temple d'amourettes,
Quand il orrait sonner de toutes parts
Le carillon de cloches tant doucettes.

Les
Dames donnent aux malades,
Qui sont recommandes aux prônes,

Ris, baisers, regards et œillades,

Car ce sont d'amours les aumônes.
Les prêcheurs sont vieilles matrones,
Qui aux
Jeunes donnent courage
D'employer la fleur de leur âge

A servir
Amour le grand
Roi,

ant que souvent par beau langage
Les convertissent à la loi.

Les fonts du temple était une fontaine,
Où décourait un ruisseau argentin :

Là se baignait mainte dame hautaine
Le corps tout nu, montrant un dur tetin.
Lors on eût vu marcher sur le patin
Pauvres
Amants à la tête enfumée.
L'un apportait à sa très bien aimée

Eponge, peigne, et chacun appareil :
L'autre à sa dame étendait la ramée,
Pour la garder de l'ardeur du soleil.

Le cimetière est un vert bois :
Et les murs, haies et buissons. i
Arbres plantés, ce sont les
Croix :

De profundis, gaies chansons.
Les amants surpris des frissons
D'amours, et attrapés es lacs,

Devant quelque huis tristes et las,
Pour la tombe d'un trépassé,

Chantent souvent le grand hélas
Pour requiescal in pace.

Ovidius, maître
Alain
Charretier,

Pétrarque, aussi le
Roman de la
Rose,
Sont les missels, bréviaire et psautier

Qu'en ce saint temple on lit en rime et prose.

Et les leçons que chanter on y ose,

Ce sont rondeaux, ballades, virelais,

Mots à plaisir, rimes et triolets,
Lesquels
Vénus apprend à retenir

A un grand tas d'amoureux nouvelets,

Pour mieux savoir dames entretenir.

Autres manières de chansons

Léans on chante à voix contraintes
Ayant cassés et méchants sons,

Car ce sont cris, pleurs et complaintes.

Les petites chapelles saintes

Sont chambrettes et cabinets,

Ramées, bois et jardinets,
Où l'on se perd, quand le vert dure :

Leurs huis sont faits de buissonnets,

Et le pavé tout de verdure.

Le benoiticr fut fait en un grand plain,
D'un lac fort loin d'herbes, plantes et fleurs.

Pour eau benoîte, était de larmes plein,
Dont fut nommé le piteux
Lac de pleurs :
Car les amants dessous tristes couleurs
Y sont en vain mainte larme épandant.
Les fruits d'amours là ne furent pendant :

Tout y séchait tout au long de l'année.
Mais bien est vrai qu'il y avait dedans
Pour aspergés une rose fanée.

Marguerites, lis et œillets,
Passeveloux, roses flairantes,

Romarins, boutons vermeillets,

Lavandes odoriférantes :
Toutes autres fleurs apparentes
Jetant odeur très adoucie,
Qui jamais un cœur ne soucie,

C'était de ce temple l'encens.

Mais il y eut de la soucie :
Voilà qui me trouble le sens.

Et si aucun (pour le monde laisser)

Veut là-dedans se rendre moine ou prestre,

Tout autre état lui convient délaisser.
Puis va devant
Genius l'archiprestre ,
Et devant tous, en levant la main dextre,
D'être loyal fait grand vœux et serments,
Sur les autels couverts de parements,

Qui sont beaux lits à la mode ordinaire :
Là où se font d'amours les sacrements
De jour et nuit sans aucun luminaire.

Depuis qu'un homme est là rendu,
Soit sage ou sot, ou peu idoine,

Sans être ne rais ne tondu,

Incontinent on le fait moine.
Mais quoi ? il n'a pas grand essoine
A comprendre les sacrifices,
Car d'amourettes les services

Sont faits en termes si très clairs

Que les apprentis et novices
En savent plus que les grands clercs.

De
Requiem les messes sont aubades ;
Cierges, rameaux ; et sièges, la verdure,
Où les amants font rondeaux et ballades.
L'un y est gai ; l'autre mal y endure.

L'une maudit par angoisse très dure
Le jour auquel elle se maria;
L'autre se plaint que jaloux mari a.
Et les saints mots que l'on dit pour les âmes
Comme
Pater ou
Ave
Maria,
C'est le babil et le caquet des
Dames.

Processions, ce sont morisques,

Que font amoureux champions,
Les haies d'Allemagne frisques,

Passepieds, branles, tourdions.

Là par grands consolations

Un avec une devisait,

Ou pour Évangiles lisait kki
L'Art d'aimer, fait d'art poétique;

Et l'autre sa dame baisait

En lieu d'une sainte relique.

En tous endroits je visite et contemple,
Presques étant de merveille égaré,

Car en mes ans ne pense point voir temple
Tant clair, tant net, ne tant bien préparé.
De chacun cas fut à peu près paré,
Mais toutefois y eut faute d'un point :
Car sur l'autel de
Paix n'y avait point;

Raison pourquoi ? toujours
Vénus la belle,
Et
Cupido, de sa darde qui point,
A tous humains fait la guerre mortelle.

Joie y est, et deuil rempli de ire,
Pour un repos, des travaux dix :

i
Et bref, je ne saurais bien dire

Si c'est
Enfer ou
Paradis.
Mais par comparaison je dis
Que celui temple est une rose
D'épines et ronces enclose :

Petits plaisirs, longues clamours .

Or tâchons à trouver la chose

Que je cherche au temple d'Amours.

Dedans la nef du triomphant domaine,
Songeant, rêvant, longuement me pourmene,

Voyant refus, qui par dures alarmes
Va incitant l'œil des
Amants à larmes,
Oyant partout des cloches les doux sons
Chanter versets d'amoureuses leçons,
Voyant chasser de
Cupido les serfs,

L'un à connils, l'autre à lièvres et cerfs,
Lâcher faucons, lévriers courir au bois,
Corner, souffler en trompes et hautbois.
On crie, on prend : l'un chasse, et l'autre
L'un a jà pris, la bête lui échappe,

II court après, l'autre rien n'y pourchasse :
On ne vit onc un tel déduit de chasse
Comme cestui.
Or tiens-je tout pour vu,
Fors celle-là dont veux être pourvu,
Qui plongé m'a au gouffre de détresse.

C'est de mon cœur la très chère maîtresse,
De peu de gens au monde renommée,
Qui
Ferme
Amour est en terre nommée.
Longtemps y a que la cherche et poursuis,
Et (qui pis est) en la terre où je suis

Je ne vois rien qui me donne assurance
Que son gent corps y fasse demeurance :
Et crois qu'en vain je la vais réclamant,
Car là-dedans je vois un fol amant,
Qui va choisir une dame assez pleine

De grand beauté.
Mais tant y a, qu'à peine
Eus contemplé son maintien gracieux,
Que
Cupido, l'enfant audacieux,
Tendit son arc, encocha sa sagette,
Les yeux bandés, dessus son cœur la jette,

Si rudement, voire de façon telle
Qu'il y créa une plaie mortelle.

Et lors
Amour le jucha sur sa perche,
Je ne dis pas celle que tant je cherche,
Mais une
Amour vénérique et ardente,

Le bon renom des humains retardante,
Et dont partout le mal estimé fruit
Plus que de l'autre en cestui monde bruit.

Un' autre
Amour fut de moi aperçue,
Et crois que fut au temps jadis conçue

Par
Boréas courant et variable :

Car oneques chose on ne vit si muable,
Ne tant légère en cours et autres parts.
Le sien pouvoir par la terre est épars,
Chacun la veut, l'entretient et souhaite,

A la suivir tout homme se déhaite.
Que dirai plus ?
Certes un tel aimer,
C'est
Dédalus , voletant sur la mer :
Mais tant a bruit qu'elle va ternissant
De fermeté le nom resplendissant.

Par tel façon au milieu de ma voie
Assez et trop ces deux amours trouvoie.
Mais l'une fut lubrique et étrangère
Trop à mon vueil : et l'autre si légère
Qu'au grand besoin on la trouve ennemie.

Lors bien pensai que ma loyale amie
Ne cheminait jamais par les sentiers,
Là où ces deux cheminaient voulenticrs.
Parquoi conclus en autre part tirer,
Et de la nef soudain me retirer,

Pour rencontrer la
Dame tant illustre :
Celle de qui jadis le très clair lustre
Soûlait chasser toute obscure souffrance,
Faisant régner
Paix divine sous
France ;
Celle pour vrai (sans le blâme d'aucun)

Qui de deux cœurs mainte fois ne fait qu'un :
Celle par qui
Christ, qui souffrit moleste,
Laissa jadis le haut trône céleste,
Et habita cette basse vallée,

Pour retirer
Nature maculée

De la prison infernale et obscure.

A poursuivir sous espoir je pris cure;
Jusques au chœur du temple me transporte,
Mon œil s'épart au travers de la porte
Faite de fleurs et d'arbrisseaux tous verts ;

Mais à grand peine eus-je vu à travers
Que hors de moi churent plaintes et pleurs,
Comme en hiver sèches feuilles et fleurs.

Tristesse et deuil de moi furent absents,
Mon cœur garni de liesse je sens,

Car en ce lieu un grand
Prince je vis,
Et une dame excellente de vis :
Lesquels portant écus de fleurs royales,
Qu'on nomme lis, et d'hermines ducales,
Vivaient en paix dessous celle ramée,

Et au milieu
Ferme
Amour d'eux aimée,
D'habits ornée à si grand avantage
Qu'oncques
Dido la reine de
Carthage,
Lorsqu'Aeneas reçut dedans son port,
N'eut tel richesse, honneur, maintien et port;

Combien que lors
Ferme
Amour avec elle
De vrais sujets eut petite séquelle.

Lors
Bel
Accueil m'a le buisson ouvert
Du chœur du temple, étant un pré tout vert :
Si merciai
Cupido par mérites,

Et saluai
Vénus et ses
Charités.

Puis
Ferme
Amour, après le mien salut,
Tel me trouva, que de son gré voulut
Me retirer dessous ses étendards,
Dont je me tins de tous pauvres soudards

Le plus heureux.
Puis lui contai comment
Pour son amour continuellement
J'ai circuit mainte contrée étrange,
Et que souvent je l'ai pensée être ange,
Ou résider en la cour célestine,

Dont elle prit très sacrée origine.

Puis l'avertis, comme en la nef du temple
De
Cupido (combien qu'elle soit ample)
N'ai su trouver sa très noble facture,
Mais qu'à la fin suis venu d'aventure
Dedans le chœur où est sa mansion.
Parquoi conclus en mon invention,
Que
Ferme
Amour est au cœur éprouvée.
Dire le puis, car je l'y ai trouvée.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top