Poèmes

Celle qui Chantait

par Théodore de Banville

Voix solitaire, ô délaissée !
Victime tant de fois blessée,
Chère morte dont l'âme eut faim
Et soif d'azur, ô
Marceline,
Dors-tu, sous la froide colline ?
As-tu trouvé le calme, enfin ?

Quand, parmi ta lente agonie,
La douleur, qui fut ton génie,
T'arrachait de tremblants aveux,
Le souffle du maître farouche
En passant déliait ta bouche,
Et frissonnait dans tes cheveux.

Pâle, vouée à ta chimère,
Tes dents mordaient la cendre amère ;
T'en souvient-il, t'en souvient-il,
A présent que tes yeux sans voiles
S'emplissent de flamme et d'étoiles ?
Tu n'acceptais pas ton exil !

Tu t'écriais, inassouvie :

«
Amour ! je veux, dès cette vie,

Ton délire immatériel

Et tes voluptés immortelles :

Puisque l'âme a gardé ses ailes,

Il faut bien qu'on lui rende un ciel ! »

Non ! tout désir qui nous déchire
N'est qu'un avant-goût du martyre !
Non, l'univers déshérité,
Où toute vertu saigne et pleure,
Ne peut pas nous donner une heure,
Fût-ce au prix de l'éternité.

Qu'importe ! marchons vers le rêve.
L'Ange a beau secouer son glaive
Sur le seuil que cherchent nos pas,
Rôdons aux portes entr'ouvertes !
Cherchons sur les cimes désertes

La rose qui n'y fleurit pas !

Allons-nous-en vers le mirage !

Ecoutons à travers l'orage

La voix qui nous a désignés

Pour la félicité sereine,

Et que l'ombre à la fin nous prenne,

Vaincus, mais non pas résignés.

Vous le savez, brises fécondes,
Torrents qui roulez dans vos ondes
Une poussière d'astres clairs,
Cascades qui volez en poudre,
Sapins noirs brisés par la foudre,
Rochers mordus par les éclairs !

Vous le savez ; et toi, nuit noire,
Tu le vois, ce n'est pas la gloire
Que suit le poète aux beaux yeux.
Ce n'est pas pour elle, ô nature !
Qu'il verse à la race future
Un flot de chants mélodieux.

Ce n'est pas lui qu'on rassasie
Avec cette vaine ambroisie ;
Et dédaigneux du laurier vert,
Au milieu de la multitude
Il garde la morne attitude
D'un sphynx regardant le désert.

Mais quand ses odes ingénues
Sur le front immense des nues
Devancent l'aigle et le vautour,
C'est qu'il dit à l'antre sonore
La brûlure qui le dévore,
Seulement altéré d'amour !

Octobre 1859.



Poème publié et mis à jour le: 16 November 2012

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