Poèmes

Andromaque

par Jean Racine

Jean Racine

Acte
III,
Scène .

ANDROMAQ.UE

...
Dois-je oublier
Hector privé de funérailles,

Et traîné sans honneur autour de nos murailles?

Dois-je oublier son père à mes pieds renversé,

Ensanglantant l'autel qu'il tenait embrassé?

Songe, songe,
Céphise, à cette nuit cruelle

Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.

Figure-toi
Pyrrhus, les yeux étincclants,

Entrant à la lueur de nos palais brûlants,

Sur tous mes frères morts se faisant un passage,

Et de sang tout couvert échauffant le carnage.

Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des

[mourants
Dans la flamme étouffes, sous le fer expirants.
Peins-toi dans ces horreurs
Andromaque éperdue :
Voilà comme
Pyrrhus vint s'offrir à ma vue;
Voilà par quels exploits il sut se couronner;
Enfin voilà l'époux que tu me veux donner.

Acte
IV,
Scène i.

ANDROMAQUE

Non, non, je te défends,
Céphise, de me suivre.

Je confie à tes soins mon unique trésor :

Si tu vivais pour moi, vis pour le fils d'Hector.

De l'espoir des
Troyens seule dépositaire,
Songe à combien de rois tu deviens nécessaire.
Veille auprès de
Pyrrhus; fais-lui garder sa foi :
S'il le faut, je consens qu'on lui parle de moi.
Fais-lui valoir l'hymen où je me suis rangée;
Dis-lui qu'avant ma mort je lui fus engagée,
Que ses ressentiments doivent être effacés,
Qu'en lui laissant mon fils, c'est l'estimer assez.
Fais connaître à mon fils les héros de sa race;
Autant que tu pourras, conduis-le sur leur trace.
Dis-lui par quels exploits leurs noms ont éclaté,
Plutôt ce qu'ils ont fait que ce qu'ils ont été;
Parle-lui tous les jours des vertus de son père ;
Et quelquefois aussi parle-lui de sa mère.
Mais qu'il ne songe plus,
Céphise, à nous venger :
Nous lui laissons un maître, il le doit ménager.
Qu'il ait de ses aïeux un souvenir modeste ;
Il est du sang d'Hector, mais il en est le reste;
Et pour ce reste enfin j'ai moi-même en un jour
Sacrifié mon sang, ma haine et mon amour.

Acte
V,
Scène dernière.

oreste

Grâce aux dieux !
Mon malheur passe mon espérance.
Oui, je te loue, ô
Ciel, de ta persévérance.
Appliqué sans relâche au soin de me punir,
Au comble des douleurs tu m'as fait parvenir.
Ta haine a pris plaisir à former ma misère;
J'étais né pour servir d'exemple à ta colère,
Pour être du malheur un modèle accompli.
Hé bien! je meurs content, et mon sort est rempli.
Où sont ces deux amants?
Pour couronner ma joie,
Dans leur sang, dans le mien il faut que je me noie;
L'un et l'autre en mourant je les veux regarder.
Réunissons trois cœurs qui n'ont pu s'accorder.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top