C'était en la saison que l'amoureuse
Flore
Faisait pour son ami les fleurettes éclore
Par les prés bigarrés d'autant d'émail de fleurs
Que le grand arc de
Ciel s'émaille de couleurs;
Lorsque les papillons et les blondes avettes,
Les uns chargés au bec, les autres aux cuissettes,
Errent par les jardins, et les petits oiseaux,
Voletant par les bois de rameaux en rameaux,
Amassent la becquée, et parmi la verdure
Ont souci comme nous de leur race future.
Thoinet au mois d'avril passant par
Vendômois,
Me mena voir à
Tours
Marion que j'aimois,
Qui aux noces était d'une sienne cousine;
Et ce
Thoinet aussi allait voir sa
Francine
Qu'Amour en se jouant, d'un trait plein de rigueur,
Lui avait près le
Clain écrite dans le cœur.
Nous partîmes tous deux du hameau de
Coustures *,
Nous passâmes
Gâtine et ses hautes verdures,
Nous passâmes
Marré, et vîmes à mi-jour
Du
Pasteur
Phelippot * s'élever la grand-tour,
Qui de
Beaumont la
Ronce honore le village
Comme un pin fait honneur aux arbres d'un bocage.
Ce pasteur qu'on nommait
Phelippot, tout gaillard,
Chez lui nous festoya jusques au soir bien tard.
De là vînmes coucher au gué de
Lengerie,
Sous des saules plantés le long d'une prairie;
Puis, dès le point du jour redoublant le marcher,
Nous vîmes en un bois s'élever le clocher
De saint
Cosme près
Tours s, où la noce gentille
Dans un pré se faisait au beau milieu de l'île.
Là
Francine dansait, de
Thoinet le souci,
Là
Marion ballait, qui fut le mien aussi;
Puis nous mettant tous deux en l'ordre de la danse,
Thoinet tout le premier cette plainte commence : «
Ma
Francine, mon cœur, qu'oublier je ne puis,
Bien que pour ton amour oublié je me suis,
Quand dure en cruauté tu passerais les ourses
Et les torrents d'hiver débordés de leurs course»,
Et quand tu porterais, en lieu d'humaine chair,
Au fond de l'estomac pour un cœur un rocher,
Quand tu aurais sucé le lait d'une lionne,
Quand tu serais, cruelle, une bête félonne,
Ton cœur serait pourtant de mes pleurs adouci,
Et ce pauvre
Thoinet tu prendrais à merci.
Je suis, s'il t'en souvient,
Thoinet qui dès jeunesse
Te voyant sur le
Clain t'appella sa maîtresse,
Qui musette et flageol à ses lèvres usa
Pour te donner plaisir, mais cela m'abusa,
Car te pensant fléchir comme une femme humaine,
Je trouvai ta poitrine et ton oreille pleine,
Hélas! qui l'eût pensé! de cent mille glaçons!
Lesquels ne t'ont permis d'écouter mes chansons.
Et toutefois le temps, qui les prés de leurs herbes
Dépouille d'an en an, et les champs de leurs gerbes,
Ne m'a point dépouillé le souvenir du jour
Ni du mois où je mis en tes yeux mon amour,
Ni ne fera jamais, voire eussé-je avalée
L'onde qui court là-bas sous l'obscure vallée.
C'était au mois d'avril,
Francine, il m'en souvient,
Quand tout arbre florit, quand la terre devient
De vieillesse en jouvence, et l'étrange arondelle
Fait contre un soliveau sa maison naturelle;
Quand la limace au dos qui porte sa maison,
Laisse un trac * sur les fleurs ; quand la blonde toison
Va couvrant la chenille, et quand parmi les prées
Volent les papillons aux ailes diaprées,
Lorsque fol je te vis, et depuis je n'ai pu
Rien voir après tes yeux que tout ne m'ait déplu
Six ans sont jà passés, toutefois dans l'oreille
J'entends encor' le son de ta voix nonpareille,
Qui me gagna le cœur, et me souvient encor
De ta vermeille bouche et de tes cheveux d'or,
De ta main, de tes yeux, et si le temps qui passe
A depuis dérobé quelque peu de leur grâce,
Hélas! je ne suis moins de leurs grâces ravi
Que je fus sur le
Clain, le jour que je te vi
Surpasser en beauté toutes les pastourelles
Que les jeunes pasteurs estimaient les plus belles.
Car je n'ai pas égard à cela que tu es,
Mais à ce que tu fus, tant les amoureux traits
Te gravèrent en moi, voire de telle sorte
Que telle que tu fus telle au sang je te porte.
Dès l'heure que le cœur de l'œil tu me perças,
Pour en savoir la fin je fis tourner le
Sas *l
Par une
Janeton, qui au bourg de
Crotelles
Soit du bien soit du mal disait toutes nouvelles.
Après qu'elle eut trois fois craché dedans son sein,
Trois fois éternué, elle prit du levain.
Le retâte en ses doigts, et en fit une image
Qui te semblait de port, de taille et de visage.
Puis tournoyant trois fois, et trois fois marmonnant,
De sa gertière * alla tout mon col enfournant,
Et me dit :
Je ne tiens si fort de ma gertière
Ton col, que ta vie est de malheur héritière,
Captive de
Francine, et seulement la mort
Dénouera le lien qui te serre si fort.
Et n'espère jamais de vouloir entreprendre
D'échauffer un glaçon qui te doit mettre en cendre.
Las ! je ne la crus pas, et pour vouloir adonc
En être plus certain, je fis couper le jonc
La veille de saint
Jean; mais je vis sur la place
Le mien, signe d'Amour, croître plus d'une brasse,-
Le tien demeurer court, signe que tu n'avais
Souci de ma langueur, et que tu ne m'aimais,
Et que ton amitié qui n'est point assurée,
Ainsi que le jonc court, est courte demeurée.
Je mis pour t'essayer encores d'avant-hier
Dans le creux de ma main des feuilles de coudrier :
Mais en tapant dessus, nul son ne me rendirent,
Et flaques sans sonner sur la main me fanircnt,
Vrai signe que je suis en ton amour moqué,
Puisqu'en frappant dessus elles n'ont point craqué,
Pour montrer par effet que ton cœur ne craqueté
Ainsi que fait le mien d'une flamme secrète.
O ma belle
Francine, ô ma fidre, et pourquoi.
En dansant, de tes mains ne me prends-tu le doi?
Pourquoi, lasse du bal, entre ces fleurs couchée,
N'ai-je sur ton giron ou la tête penchée,
Ou mes yeux sur les tiens, ou ma bouche dessus
Tes deux tetins de neige et d'ivoire conçus?
Te- semb!ai-je trop vieil ? encor la barbe tendre
Ne fait que commencer sur ma joue à s'étendre,
Et ta bouche qui passe en beauté le coural,
S'elle veut me baiser, ne se fera point mal.
Mais, ajnsi qu'un lézard se cache sous l'herbette,
Sous ma blonde toison cacheras ta languette;
Puis en la retirant, tu tireras à toi
Mon cœur, pour te baiser, qui sortira de moi.
Uclas! prends donc mon cœur, avecques cette paire
De ramiers que je t'offre; ils sont venus de l'aire
De ce gentil ramier dont je t'avais parlé :
Margot m'en a tenu plus d'une heure accolé.
Les pensant emporter pour les mettre en sa cage.
Mats ce n'est pas pour elle, et demain davantage
Je t'en rapporterai, avecques un pinson
Qui déjà sait par cœur une belle chanson
Que je fis l'autre jour dessous une aubépine.
Dont le commencement est
Thoinet et
Francine. liai cruelle, demeure, et tes yeux amoureux
Ne détourne de moi; hàl je suis malheureux!
Car )e connais mon mal, et si connais encore
La puissance d'Amour, qui le sang me dévore.
Sa puissance est cruelle, et n'a point d'autre jeu,
Sinon de rebrûler nos cœurs à petit feu.
Ou de les englacer, comme ayant pris son être
D'une glace ou d'un feu ou d'un rocher champêtre.
Ilà! que ne sius-je abeille, ou papillon! j'irais
Maugrc toi te baiser, et puis je m'assirais
Sur tes tétins, afin de sucer de ma bouche
Cette humeur qui te fait contre moi si farouche.
O belle au doux regard,
Francine au beau sourcil,
Baise-moi je te prie, et m'embrasses ainsi
Qu'un arbre est embrassé d'une vigne bien forte.
Souvent un vain baiser quelque plaisir apporte.
Je meurs! tu me feras dépecer ce bouquet
Que j'ai cueilli pour toi, de thym et de muguet,
Et de la rouge fleur qu'on nomme
Cassandrette,
Et de la blanche fleur qu'on appelle
Olivette,
A qui
Bellotl donna et la vie et le nom.
Et de celle qui prend de ton nom son surnom.
Las! où fuis-tu de moi? hàl ma fière ennemie.
Je m'en vais dépouiller jaquette et souquenie *,
Et m'en courrai tout nu au haut de ce rocher,
Où tu vois ce garçon à la ligne pêcher,
Afin de me lancer à corps perdu dans
Loire
Pour laver mon souci, ou afin de tant boire
D'écumes et de flots, que la flamme d'aimer
Par l'eau, contraire au feu, se puisse consumer. »
Ainsi disait
Thoinet, qui se pâma sur l'herbe,
Presque transi de voir sa dame si superbe.
Qui riait de son mal, sans daigner seulement
D"un seul petit clin d'œil apaiser son tourment.
J'ouvrais déjà la lèvre après
Thoinet, pour dire
De combien
Marion m'était encore pire.
Quand j'avise sa mère en hâte gagner l'eau
Et sa fille emmener avec elle au bateau,
Qui se jouant sur l'onde, attendait cette charge,
Lié contre le tronc d'un saule au faite large.
Jâ les rames tiraient le bateau bien pansu,
Lt la voile en enflant son grand repli bossu
Emportait le plaisir qui mon cœur tient en peine,
Quand je m'assis au bord de la première arène,
Et voyant le bateau qui s'ennuyait de moi,
Parlant à
Marion, je chantai ce convoi.
«
Bateau qui par les flots ma chère vie emportes,
Des vents en ta faveur les haleines soient mortes.
Et le banc périlleux qui se trouve parmi
Les eaux, ne t'enveloppe en son sable endormi
I
Que l'air, le vent et l'eau favorisent ma
Dame,
Et que nul flot bossu ne détourbe sa rame.
En guise d'un étang sans vague, paresseux
Aille le cours de
Loire, et son limon crasseux
Pour ce jourd'hui se change en gravelle menue,
Pleine de maint rubis et mainte perle élue.
Que les bords soient semés de mille belles fleurs,
Représentant sur l'eau mille belles couleurs,
Et le troupeau
Nymphal des gentilles
Naïades
Alentour du vaisseau fasse mille gambades,
Les unes balayant des paumes de leurs mains
Les flots devant la barque, et les autres leurs seins
Découvrent à fleur d'eau, et d'une main ouvrière
Conduisent le bateau du long de la rivière.
L'azuré martinet puisse voler devant
Avecques la mouette, et le plongeon ', suivant
Son malheureux destin, pour le jourd'hui ne songe
En sa belle
Hespérie, et dans l'eau ne se plonge,
Et le héron criard, qui la tempête fuit,
Haut pendu dedans l'air ne fasse point de bruit.
Ains tout gentil oiseau qui va cherchant sa proie
Par les flots poissonneux, bienheureux te convoie,
Pour sûrement venir avec ta charge au port,
Où
Marion verra, peut-être, sur le bord
Un orme des longs bras d'une vigne enlacée,
Et la voyant ainsi doucement embrassée,
De son pauvre
Perrot se pourra souvenir,
Et voudra sur le bord embrassé le tenir.
On dit au temps passé que quelques-uns changèrent
En rivière leur forme, et eux-mêmes nagèrent
Au flot qui de leur rang goutte à goutte saillait,
Quand leur corps transformé en eau se distillait.
Que ne puis-je muer ma ressemblance humaine
En la forme de l'eau qui cette barque emmène
J'irais en murmurant sous le fond du vaisseau,
J'irais tout alentour, et mon amoureuse eau
Baiserait or' sa main, ore sa bouche franche,
La suivant jusqu'au port de la
Chapelle blanche;
Puis laissant mon canal pour jouir de mon veuil,
Par le trac de ses pas j'irais jusqu'à
Bourgeuil,
Et là, dessous un pin, couché sur la verdure,
Je voudrais revêtir ma première figure.
Se trouve point quelque herbe en ce rivage ici
Qui ait le goût si fort qu'elle me puisse ainsi
Muer, comme fut
Glauque l, en aquatique monstre,
Qui homme ne poisson, homme et poisson se montre?
Je voudrais être
Glauque, et avoir dans mon sein
Les pommes qu'Hippomane élançait de sa main
Pour gagner
Atalante : à fin de te surprendre,
Jes les ruerais sur l'eau, et te ferais apprendre
Que l'or n'a seulement sur la terre pouvoir,
Mais qu'il peut desur l'eau des femmes décevoir.
Or cela ne peut être, et ce qui se peut faire.
Je le veux achever afin de te complaire :
Je veux soigneusement ce coudrier arroser,
Et des chapeaux de fleurs sur ses feuilles poser,
Et avec un poinçon je veux desur l'écorce
Engraver de ton nom les six lettres à force,
Afin que les passants en lisant
Marion,
Fassent honneur à l'arbre entaillé de ton nom.
Je veux faire un beau lit d'une verte jonchée
De parvenche feuillue en contre-bas couchée,
De thym, qui fleure bon, et d'aspic * porte-épi,
D'odorant poliot * contre terre tapi,
De neufard * toujours vert, qui la froideur incite,
Et de jonc qui les bords des rivières habite.
Je veux jusques au coude avoir l'herbe, et je veux
De roses et de lis couronner mes cheveux.
Je veux qu'on me défonce une pipe
Angevine,
Et en me souvenant de ma toute divine,
De toi, mon doux souci, épuiser jusqu'au fond
Mille fois ce jourd'hui mon gobelet profond,
Et ne partir d'ici jusqu'à tant qu'à la lie
De ce bon vin d'Anjou la liqueur soit faillie.
Melchior
Champenois, et
Guillaume
Manceau,
L'un d'un petit rebec *, l'autre d'un chalumeau,
Me chanteront comment j'eus l'âme dépourvue
De sens et de raison sitôt que je t'eus vue,
Puis chanteront comment pour fléchir ta rigueur
Je t'appelai ma vie et te nommai mon cceur,
Mon œil, mon sang, mon tout! mais ta haute pensée
N'a voulu regarder chose tant abaissée,
Ains en me dédaignant tu aimas autre part
Un qui son amitié chichement te départ.
Voilà comme il te prend pour mépriser ma peine
Et le rustique son de mon tuyau d'aveine.
Us diront que mon teint, vermeil auparavant,
Se perd comme une fleur qui se fanit au vent,
Que mon poil devient blanc, et que la jeune grâce
De mon nouveau printemps de jour en jour s'efface,
El que depuis le mois que l'amour me fit tien,
De jour en jour plus triste et plus vieil je devien.
Puis ils dirons comment les garçons du village
Disent que ta beauté tire déjà sur l'âge,
Et qu'au matin le coq dès la pointe du jour
N'oira plus à ton huis ceux qui te font l'amour.
Bien fol est qui se fie en sa belle jeunesse,
Qui si tôt se dérobe, et si tôt nous délaisse.
La rose à la parfin devient un gratte-cul *,
Et tout avec le temps par le temps est vaincu.
Quel passe-temps prends-tu d'habiter la vallée
De
Bourgueil où jamais la
Muse n'est allée?
Quitte-moi ton
Anjou, et viens en
Vendômois.
Là s'élèvent au ciel les sommets de nos bois,
Là sont mille taillis et mille belles plaines.
Là gargouillent les eaux de cent mille fontaines,
Là sont mille rochers, où
Echon alentour
En résonnant * mes vers ne parle que d'Amour.
Ou bien, si tu ne veux, il me plaît de me rendre
Angevin pour te voir, et ton langage apprendre,
Et pour mieux te fléchir, les hauts vers que j'avois
En ma langue traduit du
Pindare
Grégeois *,
Humble, je veux redire en un chant plus facile
Sur le doux chalumeau du pasteur de
Sicile.
Là, parmi tes sablons
Angevin devenu,
Je veux vivre sans nom comme un pauvre inconnu,
Et dès l'aube du jour avec toi mener paître
Auprès du port
Guiet notre troupeau champêtre,
Puis, sur le chaud du jour, je veux en ton giron
Me coucher sous un chêne, où l'herbe à l'environ
Un beau lit nous fera de mainte fleur diverse,
Pour nous coucher tous deux sous l'ombre à la renverse;
Puis au
Soleil penchant nous conduirons nos bœufs
Boire le haut sommet des ruisselets herbeux,
Et les reconduirons au son de la musette,
Puis nous endormirons dessus l'herbe mollette.
Là, sans ambition de plus grands biens avoir,
Contenté seulement de t'aimer et te voir,
Je passerais mon âge, et sur ma sépulture
Les
Angevins mettraient cette brève écriture :
«
Celui qui gît ici, touché de l'aiguillon
Qu'Amour nous laisse au cœur, garda comme
Apollon
Les troupeaux de sa dame, et en cette prairie
Mourut en bien aimant une belle
Marie,
Et elle après sa mort mourut aussi d'ennui,
Et sous ce vert tombeau repose avecques lui. »
A peine avais-je dit, quand
Thoinet se dépâme,
Et à soi revenu allait après sa dame.
Mais je le retirai le menant d'autre part
Pour chercher à loger, car il était bien tard.
Nous avions jà passé la sablonneuse rive,
Et le flot qui bruyant contre le pont arrive,
Et jà dessus le pont nous étions parvenus,
Et nous apparaissait le tombeau de
Turnus a,
Quand le pasteur
Janots tout gaillard nous emmène
Dedans son toit couvert de javelles * d'aveine *.
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012