Poèmes

Salut !

par Léon Barracand

Salut, beau cavalier qui descends la montagne
Qui de l’est au couchant, entre une double mer,
Se dresse en séparant la France de l’Espagne,
Comme un mur de granit où se brise le fer !
Jeune homme que vers nous poussent tes destinées,
Et qui pour nos cieux froids quittes ton ciel joyeux,
Dis-nous, en franchissant les blanches Pyrénées,
Si quelque vision n’a point charmé tes yeux.
Lorsque tu chevauchais, pensif et solitaire,
Sur leurs mornes sommets, et que tombait le soir,
Des voix qui chuchotaient dans un vague mystère.
Et d’autres dans ton cœur qui ne pouvaient se taire,
Ne vinrent-elles pas te crier : « Bon espoir ! »
N’as-tu pas, traversant la funèbre vallée,
La nuit, comme une plainte errante et désolée,
Entendu résonner le cor de Roncevaux ?
L’ombre du paladin qui suivait Charlemagne
Ne t’a-t-elle rien dit en passant la montagne ?
Ne t’a-t-ii rien conté de ses rudes travaux,
Celui qui, terrassant le mal et la démence,
Comme un glaive de feu mis par Dieu dans ses mains
Fit flamboyer son fer sur le front des humains,
Pourchassant les félons sur cette terre immense
À toute heure, en tout lieu, par monts et par chemins ?
Si tu l’as rencontré dans le défilé sombre
Qui vit tomber ce brave avec ses compagnons,

Et que l’âme du preux t’aie pu parler dans l’ombre,
Que t’a-t-il conseillé, le grand vaincu des monts ?
Je voudrais bien savoir — ne peux-tu le redire ? —
De quels mots de reproche et d’amère satire
Il a stigmatisé le siècle où nous vivons ?
Ah ! qu’il a dû gémir du repos, — et maudire
L’inexorable paix où l’enchaîne la mort !
Et comme il balaierait du vent de son épée
Les fraudes où notre âme est sans cesse occupée,
S’il vivait aujourd’hui, ce redresseur de tort !
Les noires trahisons n’ont point quitté la terre,
Elles planent sur nous comme un vol de vautours !
Comme un fleuve d’enfer l’affreux mal nous enserre ;
Nos cœurs emplis de fiel à la bonté sont sourds ;
La lâcheté nous tient, tout reste encore à faire,
Et rien n’a progressé depuis de si longs jours !…
Jeune homme, tu nous viens dans un temps misérable.
Nous n’avons rien gardé des antiques vertus :
Comme un vent du désert qui laboure le sable,
De nos vaillants aïeux nulle trace n’est plus.
As-tu, jeune insensé, quelque idéal dans l’âme ?
Portes-tu dans ton cœur quelque amour, quelque foi ?
Tourne bride et va-t’en ! Notre contact infâme
T’aurait bientôt souillé : tourne bride, crois-moi !
Le saint enthousiasme est mort sous les risées ;
À nous rendre meilleurs nul n’a pu réussir,
Et nous n’espérons plus les célestes rosées,
Et nous n’attendons plus le Messie à venir !
Ah ! dans notre Babel, ami, que viens-tu faire ?
En ces antres hideux où nous nous enfermons
L’air pur est rare et manque à nourrir nos poumons ;
L’épais souci du lucre alourdit l’atmosphère…
N’importe ! viens à nous, puisque aussi bien le sort
Trompe toujours nos vœux et trahit notre effort.

C’est une dure épreuve, et le ciel l’a voulue
Pour raffermir ton cœur et te rendre plus fort.
Jeune et beau cavalier, je t’aime et te salue !

Extrait de: 
Donaniel



Poème publié et mis à jour le: 17 May 2025

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top